Tunisie : La négrophobie comme raison d’Etat

Chronique tout en gradation pour comprendre la logique d’exclusion des Noirs dans un pays qui se proclame anti-raciste.

 

 

Le 9 octobre 2018, la Tunisie vivait un moment historique en devenant le premier pays d’Afrique à adopter une loi pénalisant le racisme. Dans le libellé de ladite loi, il est clairement écrit que « les propos racistes sont passibles d’une peine d’un an de prison et d’une amende de 1 000 dinars. En cas d’incitation à la haine ou d’apologie du racisme, la peine peut aller jusqu’à trois ans de prison et une amende de 5 000 dinars ».

 

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Dans sa scrutation obsessionnelle de lui-même, le président Béji Caïd Essebsi, avait organisé des mises en scène retentissantes (road-show, déclarations tonitruantes…). À la face du monde, il présentait cette « avancée » comme « une première pour le monde arabe puisque cette loi place la Tunisie au même rang que les pays civilisés et modernes en étant l’un des premiers pays dans le monde entier et le premier en Afrique à pénaliser le racisme ».

Pour Béji Caïd Essebsi, son pays confortait ainsi sa position de « précurseur maghrébin en matière de droits humains, loin devant ses deux voisins ». Toute une ingéniosité communicationnelle pour revigorer (de façon artificielle) la force déclinante d’un régime ; car depuis cette loi, la vie des Noirs a-t-elle vraiment changé en Tunisie ? Khawla Ksiksi (une activiste locale) en parle avec déception d’une « loi bâclée », votée pour calmer les revendications. Même déception pour Ramy Salhi, de l’association Maghreb Euromed Rights : « c’était juste une farce ».

 

 

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Ainsi, alors que le pays dispose d’une loi anti-racisme, le 21 février 2023, des propos violents tenus par le président Kaïs Saïed à l’encontre des Africains noirs, ont montré que, parmi ses attributs solidement ancrés, le racisme  est resté. « En tant que ligne de vie politique, la haine du Noir dans ce pays est une tradition construite, un mythe qui depuis toujours rencontre une adhésion massive », explique l’internationaliste camerounais Daniel Nkomba. Ce dernier rappelle « Négrophobie, les damnés du Maghreb », une tribune parue dans le magazine Orient XXI en août 2020.

« Son auteur, l’essayiste Rafik Chekkat montre combien le tabou du racisme anti-Noirs en Tunisie se dévoile dans les discours, sur fond d’héritage de la traite arabo-musulmane au Maghreb. Il existe là-bas un processus d’invisibilisation systémique des personnes noires. Pas de Noirs parmi les élites politiques, scientifiques, économiques ou culturelles. À la télévision, pas de Noirs non plus. Ni dans la publicité. Ni à l’université. Ni même dans le domaine religieux, où l’on parle d’un « privilège arabe », explique encore Daniel Nkomba.

Dans un pays qui compterait 10 à 15 % de Tunisiens noirs, parmi lesquels des descendants d’esclaves, le racisme structure les rapports de force concrets et les  réalités sociales. Ce racisme-là ne se résume pas à sa mise en forme abstraite et théorique. Il influe sur les pratiques, et par-là même, modèle la signification de la vie dans le pays.

 

 

À Djerba, par exemple, on mentionne encore aujourd’hui « esclave affranchi », « atig », sur des extraits de naissance. Pour Stéphanie Pouessel (auteure en 2012 de Noirs au Maghreb, enjeux identitaires),  le racisme contre les Tunisiens noirs est encore aussi tabou que le racisme contre les personnes noires de l’étranger.

Au vrai, l’esprit de la loi de 2018 n’est que la mise en œuvre de quelques réformes « escamotées » et « déviées ». En clair, ajuste Laran Djebatomagana (expert tchadien des questions de racisme), le fonctionnement de l’exécutif n’est pas loin d’un fascisme ou un nazisme  d’État ». Selon lui, depuis toujours en Tunisie, le discours politique se réfère explicitement au racisme comme raison d’État, d’après laquelle un Nègre reste un esclave.

 

Source :  La Voix Des Décideurs

 

 

 

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