Assistance humanitaire  au Cameroun : Le Haut Commissariat aux réfugiés appel à l’aide

 

Le HCR  fournit une réponse multisectorielle et multiforme allant de la protection légale et juridique, en passant par l’accès aux services de base et à la recherche de solutions durables aux réfugiés.

 

 

[ Interview, Afrique54.net] – César TSHILOMBO MBAVU, Représentant Adjoint au HCR Cameroun,  s’est confié au micro de Thierry EBA, afin d’éclairer la lanterne sur le communiqué conjoint rendu public avec le PAM, la situation que traverse cet organisme spécialisé dans son mandat, et ses activités au Cameroun.

 

Bonjour César TSHILOMBO MBAVU ! Dans un communiqué conjoint publié il y a quelques jours, le PAM et le HCR mettaient en garde contre les risques d’interruption de l’assistance alimentaire vitale aux réfugiés au Cameroun. Quelles en sont les raisons ?

Les raisons sont multiples. En attendant l’effectivité de mesures d’accompagnement à l’autonomisation des réfugiés à travers les opportunités d’inclusion socio-économique, l’assistance alimentaire reste une composante importante de protection et de stabilisation. Elle permet d’atténuer les risques multiples tels que :

L’amplification de la malnutrition sévère auprès des enfants, des femmes enceintes et allaitantes avec des conséquences graves et irréversibles sur le développement psychomoteur des enfants de réfugiés. (Prévalence de Malnutrition Chronique est à 50.8% pour un seuil standard de < 20%).

Le décrochage scolaire des enfants afin d’accompagner leurs parents dans la recherche de moyens de survie. Le recrutement des enfants dans les groupes armés. Le mariage précoce de jeunes filles. La croissance de criminalité et de trafic de drogue dans les zones hébergeant les réfugiés. Le sexe de survie et la toxicomanie.

En somme, l’assistance alimentaire dans une situation d’urgence est un stabilisateur important et son arrêt doit être bien planifié et programmé afin d’assurer une transition souple de l’assistance vers l’auto prise en charge par les réfugiés eux-mêmes car dans une situation de réfugiés de longue durée l’approche humanitaire devient inadéquate pour répondre aux vrais problèmes de protection.

 

De combien le HCR a besoin pour venir en aide à plus de 220 000 réfugiés qui pour la plupart viennent du Nigeria et de la RCA ?

Au 31 mars 2024, il y a au Cameroun 477 925 réfugiés enregistrés et vérifiés biométriquement sous la supervision du gouvernement du Cameroun. Certes 98 pour cent de ces populations en déplacement forcé viennent de la RCA et du Nigeria.  Le 2 pour cent restant de 40 nationalités différentes.

En rapport avec le communiqué conjoint PAM – HCR,  il faut noter que pour couvrir les besoins en vivres de réfugiés de la RCA et du Nigeria sous assistance alimentaire (vivres ou monétaire), le PAM a planifié un budget de USD 31 124 519. A ce jour, le PAM connaît un déficit de USD 27 675 593 soit un manque de 89 pour cent du budget requis. Sans un soutien spécial des bailleurs, le PAM sera obligé d’arrêter la distribution des vivres fin avril 2024 avec les conséquences que nous savons. D’où la pertinence de l’appel conjoint.

 

Si ce montant n’est pas mobilisé, le HCR mettra un terme à son aide qui n’est pas qu’alimentaire au Cameroun ?

Le HCR ne va pas se désengager dans la protection ni dans la recherche de solutions aux problématiques de réfugiés au Cameroun. En effet, il est important de souligner que dans les situations de réfugiées, le HCR fournit une réponse multisectorielle et multiforme allant de la protection légale et juridique (Accès au territoire, enregistrement, documentation, etc..) et passant par l’accès aux services de base (Santé, Education, Abris, Eau, Hygiène et Assainissement, etc.) et enfin la recherche de solutions durables. Pour accomplir son mandat, le HCR au Cameroun a besoin en 2024 d’un financement de USD 135.7 millions. A date, l’organisation n’a reçu de la part de ses bailleurs que 17.3 millions soit 13% du budget requis.

Le HCR va procéder aux dépriorisations de certaines activités d’assistance tout en en privilégiant celles ayant trait à l’inclusion socio-économique et l’autonomisation des réfugiés dans les circuits économiques des zones les hébergeant.

Le HCR continuera à faire des plaidoyers pour le renforcement de la complémentarité entre tous les acteurs sur le terrain, afin que les autres agences du système des Nations Unies incluent les réfugiés dans leurs plans et programmes, que les acteurs de développement s’intéressent aux problématiques de réfugiés et que les institutions financières internationales (Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Banque Islamique de Développement, et autres) s’engagent à financer les projets de développement et de construction des infrastructures sociocommunautaires dans les régions d’accueil de réfugiés.

Ces démarches permettront de compenser le déficit budgétaire ainsi que la réduction des activités d’assistance individuelle. Outre le plaidoyer, le HCR au Cameroun a commencé une transition stratégique visant à passer de l’assistance à une approche centrée sur les solutions durables incluant les réfugiés et les populations hôtes.

 

 

Dans la localité de Ndokayo qui abrite à ce jour plus de 10 000 réfugiés centrafricains selon les statistiques recueillies auprès du chef de cette communauté, un conflit de terre opposant les autochtones et les réfugiés qui a fait déjà fait plus de 2 morts, avez-vous été informé de cette situation ?

En lien avec la loi nr. 2005/006 du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés au Cameroun et le décret d’application n° 2011/389 du 28 novembre 2011, le HCR travaille en étroite collaboration avec le gouvernement au niveau central et les autorités locales à tous les niveaux dans les collectivités territoriales déconcentrées pour la gestion de réfugiés. Au niveau des villages, il a été établi les comités mixtes de protection (Réfugiés et autochtones) qui ont comme mission de maintenir la cohésion sociale, la quiétude et la cohabitation pacifique. Avec ce maillage opérationnel, le HCR ainsi que les autorités locales sont informés d’incidents de protection impliquant les réfugiés. C’est le cas de l’incident de Ndokayo.

Il est important de souligner que le UNHCR est conscient que l’accès aux terres arables est une question sensible et critique. Pour ce faire, le HCR a toujours privilégié l’approche coopérative au bénéfice des réfugiés et des communautés hôtes. La même approche a été implémentée à Ndokayo.

Des tensions sont survenues entre les communautés hôtes et les réfugiés concernant l’exploitation des terres agricoles, entraînant une situation délicate qui a nécessité l’intervention des autorités. Le HCR salue les actions rapides prises par les autorités locales pour désamorcer le conflit. Nous saluons la générosité et l’assistance fournies par les communautés hôtes envers les réfugiés, soulignant l’importance de la solidarité et de la coopération dans ces circonstances difficiles.

 

Le HCR qui encadre les réfugiés centrafricains dans les camps depuis plus d’une décennie, pourquoi n’envisage-t-il pas une politique d’aide différente de celle actuelle. Si tant il est vrai que certains réfugiés inscrits pour le retour volontaire empochent le pactole et une fois raccompagnés dans leur pays natal reviennent à Ndokayo?

Les sites aménagés dans la façade Est et le camp de réfugiés de Minawao sont gérés par les administrateurs nommés par les autorités locales et le HCR fournit un accompagnement.

Le Cameroun est partie des différentes conventions internationales régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique ainsi que le Pacte Mondiale sur les réfugiés. Le pays a internalisé ces outils internationaux dans la loi N° 2005 /006 du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés au Cameroun et le décret N° 2011/389 du 28 novembre 2011 portant organisation et fonctionnement des organes de gestion du statut des réfugiés au Cameroun. Ainsi la gestion des réfugiés au Cameroun est conforme aux standards internationaux.

Dans l’organisation actuelle des opérations de rapatriement, il est impossible d’envisager un recyclage de réfugiés puisqu’une fois la personne rapatriée, elle perd son statut de réfugié et elle est automatiquement désactivée dans la base de données biométriques et elle ne peut pas s’y inscrire de nouveau.  Elle peut néanmoins retourner au Cameroun comme citoyen de l’espace CEMAC et non comme réfugié.

 

Le UNHCR dans sa politique de maintien à long terme des réfugiés sur les sols étrangers n’encourage-t-il pas à terme le problème d’identité et donc de nationalité qui se pose en Afrique avec acuité ?

La gestion des réfugiés se fait selon les normes internationales. Dans le respect des conventions et les lois nationales, le retour de réfugiés est volontaire basé sur le sacro-principe du non-refoulement, dans la dignité et en sécurité.

Au Cameroun des approches innovantes ont été initiées afin d’améliorer les conditions en République Centrafricaine dans le cadre de la Plateforme pour les solutions durables issue de la Déclaration de Yaoundé d’avril 2022.

Au travers cette plateforme, l’Union Européenne a financé le consortium SOLID pour un projet transfrontalier pour le renforcement de la résilience ; le GIZ finance le projet PROCAR encourageant le retour de réfugiés de la RCA vers leur pays d’origine et la BAD appuie financière cette plateforme pour la promotion de solutions durables. Les efforts sont entrepris afin d’encourager le retour car on est mieux que chez soi.

En attendant le retour dans leur pays d’origine, un changement de narratif est nécessaire pour éviter le stéréotypage de réfugiés qui veulent qu’ils soient considérés comme des charges pour les communautés d’accueil et non comme des opportunités et acteurs actifs pour le développement de leur communauté. Le Cameroun a une bonne expérience avec les réfugiés nigérians du Biafra.

L’octroi d’une carte d’identité délivrée par le gouvernement à chaque réfugié permet d’éviter la confusion et la crainte d’usurpation de nationalité.

 

Qu’attend le UNHCR du Gouvernement et de ses principaux donateurs suite à ce communiqué ?

Le gouvernement du Cameroun d’user de son influence afin d’encourager les bailleurs à répondre massivement à cet appel de financement.

Aux bailleurs de nous aider à sauver de vies de centaines de milliers de réfugiés en besoin d’une assistance alimentaire cruciale pour l’atténuation des risques de protection.

 

Entretien mené par Thierry Eba, Afrique54.net

 

 

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