Le RDPC : parti de masses ou parti de cadres ?

Proposition d’une lecture sociopolitique de la circonscription politique de la Vallée du Ntem


Par Dr Vianney- EmmanuelsonDr ELA EVINA,  Socio-politiste

 

 

L’observation de la scène politique camerounaise, et particulièrement le déploiement des partis politiques, constitue une source inépuisable d’enseignement. Comme toute organisation, le parti politique a une vie, de ce fait, il doit se mouvoir que ce soit en période électorale ou intermédiaire, la dynamique partisane doit être constante et même permanente. Pour y parvenir, celui-ci doit disposer de ressources nécessaires en termes de matériels, d’individus et de finances. Alors comment comprendre le RDPC ? Mieux, comment catégoriser le RDPC dans sa dynamique organique, stratégique et opérationnelle ? Est-il un parti de masse ? Un parti de cadres ou d’élites politiques ? Avant d’y arriver, intéressons-nous tout d’abord à donner un contenu définitionnel à la notion de parti politique.

La Loi n° 90/056 du 19 décembre 1990 portant sur la création des partis politiques en son article premier, définit les partis politiques comme étant « des associations qui concourent à l’expression du suffrage ». Ainsi, pour Joseph Lapalombara et Myron Weiner « un parti politique est une organisation durable, structurée au niveau national comme au niveau local, destinée à rassembler les individus pour conquérir et exercer directement le pouvoir ». En considérant cette définition, nous pouvons déduire que celle-ci cadre avec l’idée que nous avons du parti politique à savoir une entreprise politique, organisée, structurée, hiérarchisée sur le plan national et local, ayant pour but de rassembler les individus afin de conquérir, exercer et se maintenir au pouvoir à travers un processus démocratique libre et transparent.

 

 

Vu sous cet angle, le RDPC est un parti politique puisqu’il est une organisation politique, ayant une hiérarchie nationale et locale possédant un ancrage national indiscutable avec des milliers de militantes et militants, exerçant le pouvoir (en coalition) et à chaque élection entre en compétition avec d’autres formations politiques pour conserver le pouvoir qu’il exerce déjà au travers de ses élus.

L’intérêt de notre réflexion est de savoir si le RDPC est un parti de masses ou de cadres. En effet, l’opposition entre partis de masses d’une part et partis de cadres de l’autre se voit trop souvent, réduite à une question de nombre d’affiliés envisagé en dehors de tout contexte culturel.

La réponse se trouve dans le livre de Maurice Duverger (Les partis politiques, Paris, A. Colin, 1951, nous nous référons ici à sa publication en ouvrage « de poche » dans la collection Points 1981, qui reprend la 10èmeédition) car, plus que le nombre d’encartés dans un parti, c’est leur position dans « l’armature » de ce dernier qui fournit le critère.« La distinction des partis decadres et des partis de masses ne repose pas sur leur dimension, sur le nombre de leurs membres : il ne s’agit pas d’une différence de taille, mais destructure ».

 

 

 

Dans les partis de masses « les adhérents sont la matière même du parti, la substance de son action ». En quelque sorte, la légitimité appartient aux militants au sein desquels le parti « dégage une élite ».Cependant, le critère distinctif fondamental est financier : « La technique du parti de masses a pour effet de substituer au financement capitaliste des élections, un financement démocratique ».

 

Dans les partis de cadres, créés à partir d’un groupe parlementaire, le pouvoir appartient à ce dernier appuyé sur des réseaux notabiliaires. « Des notables influents d’abord, dont le nom, le prestige ou le rayonnement serviront de caution au candidat et lui gagneront des voix : des notables techniciens, ensuite, qui connaissent l’art de manier les électeurs et d’organiser une campagne ; des notables financiers enfin, qui apportent le nerf de la guerre ». Ainsi le parti de cadres peut se passer d’adhérents même si certains « feignent d’en recruter à l’image des partis de masses, par contagion ».

 

La distinction entre partis de cadres et de masses reste d’actualité mais dans des termes qui rendent compte de l’évolution des organisations partisanes. C’est au regard de cette actualité et de la posture du RDPC que notre questionnement trouve toute sa pertinence. En effet, sur le plan organique et structurel, le RDPC se présente comme un parti de masses. La lecture de l’article 2 de ses Statuts dispose que « Le Parti du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais a pour but de rassembler et de mobiliser les populations du Cameroun… ».

Sont donc posé ici les jalons d’un parti de masses. Ce qui veut dire que le RDPC dans sa structuration reconnait la prééminence de la mobilisation du peuple en vue de constituer l’ossature de son entreprise. Il suffit donc de voir son déploiement et sa structuration nationale et même au-delà des frontières nationales pour comprendre, qu’il fait des populations son centre névralgique. Des Cellules en passant par des Comités de Base, des Sous-sections et Sections, du Comité Central et du Bureau Politique sont les strates de sa gouvernance. Ce qui implique ainsi une foultitude de personnes aux origines, compétences et aires culturo-linguistiques différentes,l’on pourrait lui reconnaitre la qualité de parti de masses interculturelles, pluri-ethniques.

 

Toutefois, dans son fonctionnement stratégique, le RDPC apparait comme un parti de cadres. En effet, lors du renouvellement des bureaux des organes de base du parti, qui ont eu lieu du 07 août 2021 au 30 septembre 2021 dans la circonscription politique de la Vallée du Ntem, pour ne prendre que cet exemple, l’observation de plusieurs faits font croire que le RDPC fonctionne comme un parti de cadres.

 

 

Commençons tout d’abord par le comportement des militants. Nous avons remarqué que les militants du RDPC affichaient une sorte de désintérêt de la chose politique, notamment à cause des modalités pratiques liées à la constitution des dossiers individuels de candidature.

Dans un souci de transparence et de modernisation des procédures devant permettre un meilleur suivi des militants, la hiérarchie centrale du parti à mis sur pied un protocole administratif permettant une traçabilité et une lisibilité des dossiers. Il revenait donc tout simplement aux militants candidats à différents postes dans les différents organes de se rapprocher des commissions mises sur pied pour la circonstance afin de s’en quérir des dispositions contenues dans la circulaire et dans la note portant explication de la circulaire pour mieux préparer les candidatures.

Au regard de cette désinvolture des militants, les cadres ou élites politiques du parti avaient donc décidé de faire la reprographie de tous les documents et fiches nécessaires afin de distribuer cela gratuitement aux militants candidats, pour qu’ils remplissent simplement ces fiches afin d’avoir les dossiers individuels de candidature conformes aux prescriptions de la hiérarchie du parti.

 

 

Ensuite surviendra l’étape du paiement des cautions et la présentation de la carte d’adhésion et des cotisations à jour. À ce niveau, il faut de prime abord relever que la condition pour avoir la qualité de membre ou alors de militant dans une organisation qu’elle soit politique ou pas, c’est sa capacité mieux son adhésion volontaire concrétisée par le paiement des frais d’adhésion et sa constance dans le paiement des frais relatifs aux cotisations.

Dans nos échanges lors de la période sus indiquée à savoir celle relative aux opérations de renouvellement des bureaux des organes de base, en qualité d’acteur de terrain (chargé de mission), nous avons eu un débat houleux avec un « homme de Dieu », qui prêchait la prise en charge financière de toutes les opérations liées à cette importante activité du parti, par les cadres ou élites politiques du parti afin que les populations concernées en bénéficient gratuitement.

Face à une telle approche, nous lui avons demandé si dans sa chapelle religieuse cette pratique est courante ? Une église n’est-elle pas une association au sens de la loi ? Est-ce pour autant que pour avoir la qualité de membre, le pasteur ou les hauts responsables de l’église distribuent les cartes d’adhésion à toutes les personnes évangélisées ? Ne revient-il pas aux concernées de prendre l’engagement personnel de pratiquer sa foi dans telle ou telle écurie religieuse en s’acquittant volontairement et personnellement de ses frais d’adhésion et de cotisation les cas échéants ? Pourquoi la réciprocité doit-elle être exclue en politique notamment dans le RDPC ? Nous lui avons rétorqué.

 

Voilà donc le discours entretenu à la base. Dans l’intérêt stratégique de certains militants souhaitant avoir à leurs comptes plusieurs militants, car il faut le dire, pour pouvoir accomplir son devoir militant, c’est-à-dire être candidat ou alors être simple électeur, il fallait être en possession de sa carte d’adhésion. C’est ainsi que dans leurs stratégies, certains cadres vont non seulement financer la constitution des dossiers de plusieurs bureaux de la base jusqu’à l’octroi des cartes d’adhésion aux militants qui n’en avaient plus ou pas.

 

 

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C’est donc le lieu ici pour nous d’interpellerles responsables politiques de labase issus de ces opérations de renouvellement des bureaux des organes de base, afin qu’ils prennent leurs responsabilités à travers la sensibilisation axée sur les valeurs du militantisme et de la responsabilité politique individuelle. Une telle démarche permettra d’éviter le désintérêt apparent des militants et participera à restaurer la confiance entre la base et la hiérarchie du parti car il nous revient souvent des propos du genre « c’est vous là-bas à Yaoundé qui bénéficiez des avantages du parti, nous ici au village n’avons rien… ». Ou encore « qu’est-ce que le parti a déjà fait pour nous ? C’est quand il y a des événements de ce genre qu’on vous voit arriver dans vos grosses voitures… ». Et pourtant, le Président National du RDPC, Président de la République, Chef de l’État Son Excellence Paul BIYA disait un jour pour le paraphraser que, posez-vous la question de savoir ce que vous avez déjà fait pour la Cameroun et non ce que le Cameroun a déjà fait pour vous. De même on peut légitimement demander à ces militants ce qu’ils ont déjà fait pour le parti en dehors de voter pour les candidats ce qui est très important et non ce que le parti a déjà fait pour vous ?

 

Tout en considérant les remarques des militants et sympathisants du RDPC, il faut recentrer l’analyse pour dire que, l’essence d’un parti de masse réside en la capacité opérationnelle de ses militants à mobiliser les financements nécessaires permettant à l’entreprise politique de se mouvoir car, ils constituent le socle stratégique et névralgique du parti. Toutefois, dans un environnement social qui est celui de la circonscription politique analysée, caractérisée par plusieurs fléaux sociaux parmi lesquels la pauvreté ambiante, les cadres ou élites politiques, pour faire rayonner le parti s’obligent souvent à intervenir non seulement physique, mais aussi matériellement et financièrement. Toute chose qui les positionne parfois en faiseurs de rois, lorsqu’il s’agit du choix des candidats par les investitures, ou alors à donner des mots d’ordre en cas de primaire pour que leurs protégés soient élus, ce qui dénature à notre sens l’idée et surtout la réalité du parti de masse que nous faisons du RDPC à travers une lecture de ses textes organiques.

 

 

 

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