Place de la religion dans l’éducation : contribution au débat actuel sur le retour de la morale laïque à l’école


Par Dr KEDE ONANA Magloire


 

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La place des religions dans les sociétés humaines, naguère essentielle, a en général fortement décru; l’esprit positif a chassé la religion de l’explication des phénomènes, et la volonté de maîtrise de la nature s’est opposé à l’esprit de résignation à la volonté divine; dans beaucoup d’Etats, la religion, qui avait autrefois le monopole de l’éducation, est devenue chose privée, l’éducation publique étant résolument laïque La pluralité des religions, et le fait qu’il existe beaucoup d’hommes qui n’appartiennent à aucune religion, justifient en effet la laïcité de l’Etat. (Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Editions Gallimard, 1998, p.70). Mais s’émanciper de la religion implique-t-il nécessairement qu’on ignore le fait religieux? Ce serait négliger une partie essentielle de l’histoire humaine, et, surtout, être aveugle à une démarche humaine essentielle: le rapport à l’Absolu.

Car l’explication des phénomènes par l’existence de Dieu ou des dieux, la résignation aux événements en tant que ceux-ci sont l’expression de la volonté divine, ce sont là des conséquences secondes et finalement contingentes de l’attitude religieuse; l’essence de celle-ci, c’est le rapport à l’Absolu; et certes ce rapport est représenté le plus souvent de façon  anthropomorphique qui peut même sembler sacrilège : des dieux qui jouent avec les hommes, un Dieu tyran arbitraire qui exige une adoration aveugle. Mais, sous l’image grossière, il y a cependant le mouvement, certes souvent maladroit, vers un Absolu transcendant; Platon, Aristote, ne combattaient pas la religion des Athéniens, mais ils voulaient la purifier; Rousseau confiait à une religion d’Etat les fonctions sociales qu’exerçait la religion, mais il confiait à son interprétation du christianisme la fonction fondamentale du rapport à l’Absolu; Kant soumettait la faculté de théologie à la faculté de philosophie, chargée d’épurer les dogmes religieux des interprétations anthropomorphiques; aucun de ces penseurs n’a songé à éliminer la religion, bien au contraire.

Une éducation qui se veut complète ne saurait ignorer la dimension religieuse de l’homme, mais elle ne saurait non plus ignorer la multiplicité des religions, ni la réalité de l’irréligion.

L’histoire des religions, l’information sur les diverses interprétations de l’attitude religieuse, devraient faire partie de l’éducation, sans imposer bien entendu de croyance, mais en montrant la réalité de la dimension religieuse. Le travail à entreprendre dans ce cas précis doit consister à donner de nouveaux principes à l’éducation. Et parce qu’il n’y aura aucune imposition à entreprendre dans le processus éducatif évoqué, il est judicieux que la monstration de sa réalité reste à la remorque de la démonstration. Le maintien des deux approches résulte d’un sérieux travail de la pensée, travail qui depuis toujours, pour reprendre l’expression de Paul Hazard, « a comme devoir de ne point s’arrêter ». (cf : La pensée européenne au XVIIIè siècle, Fayard, 1963,p.41).

Il est des moments dans la vie: ceux des grandes décisions où se joue ce que sera notre existence, où nous rassemblons notre passé et toutes nos connaissances pour les accomplir en une suite qui leur donne un sens et les transfigure. Tout indique que l’humanité est arrivée à un moment analogue dans son histoire. On avait pensé que le progrès scientifique et technique qui, en quelques siècles seulement, a transformé nos conditions de vie, était indéfini; on constate maintenant qu’il dépend étroitement des sources d’énergie, et que ces sources s’épuisent; on pensait pouvoir impunément agir sur l’environnement, et l’on ne peut que constater les dégâts déjà accomplis. Au moment où elle croit pouvoir surmonter enfin ses divisions, ses luttes intestines, l’humanité est affrontée au problème de sa survie.

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Les techniques les plus alambiquées, les connaissances scientifiques les plus complexes, l’ont amenée à ce point. C’est sans doute en vain que l’on s’adresserait à elles pour se sauver. Au contraire de l’agitation médiatique, c’est à la réflexion calme; lente et sérieuse, qu’il faut s’adresser. La longue réflexion sur la condition humaine esquissée en Chine et en Egypte, épanouie dans le miracle grec, continuée dans la scolastique et la philosophie moderne à partir de Descartes, est un secours précieux pour une humanité qui ne sait plus où elle va. L’enseignement des ces théories permettra à l’école de jouer une mission à la fois d’instruction et d’éducation.

Pour former des Hommes sérieux et avisés, il faudra apprendre à tous la nécessité d’argumenter et de réfléchir. C’est l’unique manière de développer en chaque apprenant la capacité de raisonner, de critiquer, de douter : autant de pouvoirs à la dimension de l’humain rendant possible : la compréhension de ce qui est juste, la distinction du bien du mal, la reconnaissance des devoirs et pas seulement des droits, la promotion des vertus et des valeurs A la fièvre des idéologies simplistes qui vont de l’enthousiasme aux épouvantes des cataclysmes, aux adeptes de l’ordre marchand, il convient d’opposer, comme le disait Husserl en 1936 l’héroïsme de la Raison.

 


Par KEDE ONANA Magloire
Docteur d’Université Paris-Est
( Philosophie de l’Education)
Tél : 0753435070E-mail : kedeonana@yahoo.fr

 

 

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