Les confidences de Michel Ange Angouing sur sa relation avec le cardinal Christian Wiyghan Tumi

 Dans une sortie, le ministre Michel Ange Angouing  , ancien juge au Tribunal de première instance de Garoua, ancien procureur général de la Cour d’Appel du Sud, rend hommage au Cardinal Christian Wiyghan Tumi avec qui, il dit avoir eu « une expérience singulière”. L’intégralité de  sa tribune.

« Le Seigneur m’a accordé le privilège et la grâce de rencontrer le Cardinal Christian Wiyghan Tumi, deux fois de manière singulière.

1          En 1986, nouvellement affecté à Garoua, comme juge au Tribunal de Première Instance courant 1985, je reçois dans mon bureau l’évêque de Garoua. Je suis ému, surpris et embarrassé.

Ce grand homme de l’Eglise – grand par son physique, grand par son statut, grand par la mission qui était la sienne – dans l’intimité de mon bureau, sans tambour ni trompette !

  • C’est vous le juge Angouing Michel-Ange ?
  • Oui Monseigneur ! répondis-je.
  • Je suis venu vous voir.

J’ai offert une chaise à l’évêque, dans mon modeste bureau non climatisé et très sobre.

  • J’ai une procédure devant votre juridiction, et je suis venu vous expliquer les tenants et les aboutissants avant l’audience publique pour que vous soyez mieux édifié.
  • Je vous écoute Monseigneur.

Pendant qu’il s’exprime, je m’étonne de son humilité à venir voir le «petit» juge que j’étais, alors même que de par son statut, il pouvait rencontrer le président de la Cour d’appel, le procureur général ou mon supérieur hiérarchique immédiat, le président du Tribunal.

Monseigneur Tumi, après m’avoir expliqué l’objet de sa visite, ne m’a pas caché son étonnement et son embarras. Le dossier de procédure, objet de sa visite, était délicat et complexe.

M’ayant trouvé particulièrement jeune et frêle (je l’étais effectivement), il s’est demandé si j’avais la maturité, la fermeté et le charisme nécessaires pour connaître de cette affaire.

Il m’a demandé quelle était ma région d’origine. Je lui ai répondu que j’étais de l’Est. «Humm !» a-t-il réagi.

Mes origines confortaient-elles davantage ses doutes ? Je n’en sais rien.

Au moment de repartir, il me dit : «Jeune homme, je compte sur votre fermeté de caractère pour que seule la vérité triomphe dans cette affaire. Cette vérité qui va véritablement consacrer la liberté de culte et d’opinion dans cette région et dans notre pays.»

J’imagine que vous, qui me lisez, mourez d’envie de connaître les faits de la procédure qui m’ont valu la visite inopinée de Monseigneur Tumi.

Évêque de Yagoua d’abord et de Garoua ensuite, Monseigneur Tumi évoluait dans un environnement majoritairement islamisé. Dans le Diocèse de Garoua, certains milieux et certaines localités n’acceptaient pas, ou toléraient très peu, l’installation de l’Eglise catholique.

La conquête des fidèles, par l’Eglise catholique, se heurtait donc quelquefois à la réticence de groupes religieux déjà installés. Certains chefs de communautés (les lamidos) en étaient hostiles, et le manifestaient de manière visible ou subtile.

La détermination de Monseigneur Tumi était grande : établir l’Eglise catholique dans toutes les localités de sa sphère de compétence. Dans l’accomplissement de sa mission pastorale, il va affronter un chef traditionnel «réfractaire» dans le district de Beka, dans le nouveau département du Faro.

Un jour de grand marché à Beka, le curé a remis à certaines de ses ouailles des T-shirts blancs floqués : «Avec Jésus nous n’avons peur de rien». Ce message, jugé provocateur par les gardes du lamido, le souverain, va ordonner l’arrestation de ceux qui portaient ces T-shirts. Ces personnes auraient subi des violences et autres sévices corporels, et ont été séquestrées pendant des heures à l’intérieur de la chefferie.

Monseigneur Tumi sautera sur l’occasion pour faire citer le lamido devant le Tribunal de première instance de Garoua, statuant en audience foraine à Poli, pour y répondre de ses actes.  

Le jeune que j’étais alors devait trancher cette affaire ô combien délicate, dans une atmosphère surchauffée.

 

2          En janvier 2006, la Conférence épiscopale nationale des évêques du Cameroun (Cneec) se tient à Nguelemendouka. Le jeune juge de Garoua, magistrat 1er grade, est devenu le procureur général de la Cour d’appel du Sud – magistrat hors hiérarchie – à Ebolowa.

Monseigneur Jan Ozga, évêque du diocèse de Doumé-Abong Mbang, qui m’a fait l’honneur de son amitié, mieux, de sa fraternité, me sollicita pour accueillir dans mon village, Ngomdouma par Doumaintang, tous les évêques du Cameroun. Qui pouvait refuser un tel appel ? Les voies du Seigneur sont vraiment insondables.

Tous les évêques du Cameroun à Ngomdouma, localité située en pleine forêt où hier encore, aucun espoir n’était permis ! Un vrai miracle.

Tous les évêques du Cameroun, le nonce apostolique, Monseigneur Arioti, le représentant personnel du Chef de l’État, le ministre Charles Sale, Madame le ministre de la Promotion de la femme et de la famille, Suzanne Bomback (de regrettée mémoire), le secrétaire d’État à la Défense chargé de la gendarmerie, Jean Marie Aleokol (chargé personnellement de la sécurité des hommes de Dieu), le gouverneur de la province de l’Est et tout son état major et… le Cardinal Christian Wiyghan Tumi, étaient dans mon petit village.

Prenant la parole, l’Archevêque métropolitain de Yaoundé, le président de la Cneec Monseigneur Victor Tonye Bakot, s’adressant à moi, dira : «Monsieur le procureur général, vous êtes particulièrement béni.»

Recevoir chez vous tous les évêques du Cameroun au même moment, y compris le Cardinal Tumi, que nous savions tous délicat, est une grâce exceptionnelle.

Monseigneur Victor Tonye Bakot a insisté sur les termes TOUS, AU MEME MOMENT. Il va ensuite inviter le Cardinal à bénir toute la concession.

Ce grand homme de l’Eglise catholique romaine du Cameroun, l’a accepté et a aspergé de l’eau bénie dans toutes les pièces de ma concession. Il l’a fait en toute humilité et dans la joie. Nous avions l’impression que le bon Dieu était descendu sur terre à Ngomdouma !

Vingt (20) ans après la rencontre entre le jeune juge et l’Évêque à Garoua, le magistrat devenu procureur général rencontrait à nouveau le Cardinal Christian Wiyghan Tumi.

Le Cardinal aimait la vérité, moi aussi j’aime la vérité. Ce n’est pas seulement une option, c’est d’abord une vocation. C’est certainement pour cela que nos chemins se sont croisés pour faire l’événement.

Le Cardinal, qui ne m’avait plus rencontré depuis Garoua, était content de me voir. Je m’étais épaissi et j’avais pris du galon.

Je pense aussi qu’il avait apprécié, à sa juste valeur, la décision que j’avais rendue dans «son affaire».

 

Cardinal Christian Wiyghan Tumi,

Homme de conviction, tu l’étais. Tu étais et tu es un repère dans un contexte où nous manquons de plus en plus de repères. Tu aimais ta mission sacerdotale et tu aimais le Cameroun. Tu es un patriarche. Plutôt que de te pleurer, nous devons te célébrer. Tu pars à quatre-vingt onze (91) ans, tu auras été parmi les plus robustes. Quelle grâce !

Tu nous as montré le chemin de la justice et de la vérité, à nous de préserver ce bel héritage pour un Cameroun toujours debout.

Puisse ton âme reposer en paix, car tu étais un grand artisan de la paix. »

 

*Magistrat Hors Hiérarchie, Conseiller Technique au ministère de la Justice, ancien ministre

 

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