Crise dite Anglophone : Le Grand Dialogue convoqué par Paul Biya ouvert aussi aux séparatistes

En s’adressant à la nation de ce 10 septembre le président camerounais Paul Biya a laissé entendre les portes du Grand Dialogue National sont ouvertes Tà toute le monde ainsi qu’aux groupes armés.

Message DU CHEF DE L’ETAT

Camerounaises, Camerounais,
Mes Chers compatriotes,

Depuis près de trois ans, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de notre pays sont en proie à une crise, qui met en péril la sécurité et le bien-être des populations qui y vivent, mais a également de profondes conséquences sur l’ensemble de la communauté nationale.
Cette crise, faut-il le rappeler, est née des revendications corporatistes des Avocats et des Enseignants, qui réclamaient la traduction en langue anglaise des Actes Uniformes OHADA et la préservation de la spécificité du système judiciaire et du système éducatif anglo-saxon dans les deux régions.

Dès le départ, fidèle à une option qui m’est chère, j’ai instruit l’instauration d’un dialogue entre le Gouvernement et les organisations syndicales en vue de trouver des réponses appropriées à ces revendications. Les mesures qui ont été prises par le Gouvernement à l’issue de ces concertations, sont allées bien au-delà des revendications de départ. Qu’il me soit permis d’en énumérer quelques unes :
– la traduction en langue anglaise des textes OHADA a été effectuée. Ces textes sont désormais disponibles dans nos deux langues officielles ;
– une Section de la Common Law a été créée à la Cour Suprême, afin de connaitre des pourvois formés contre les décisions des juridictions inférieures, dans les affaires relevant de la Common Law ;
– au plan de la formation des Magistrats, une Section de la Common Law a été créée à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Cette mesure a été accompagnée d’un programme de recrutement des Auditeurs de justice et des Greffiers d’expression anglaise ;
– par ailleurs, un recrutement spécial d’Enseignants bilingues a été mis en œuvre dans l’Enseignement secondaire ;
– au plan judiciaire, un arrêt des poursuites a été ordonné en faveur de certaines personnes interpellées dans le cadre de ces revendications ;
– Une Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme a été créée, afin notamment d’examiner en profondeur l’ensemble des sources de frustrations de nos compatriotes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Par la suite, des décisions ont été prises pour accélérer le processus de décentralisation, avec en prime la création d’un Ministère dédié. Les prochaines élections régionales serviront à parachever ce processus, en permettant à nos compatriotes, sur l’ensemble du territoire national, de participer pleinement à la gestion de leurs affaires au niveau local.

Mes Chers compatriotes,
Malgré ces efforts du Gouvernement, des mouvements radicaux, principalement inspirés de l’étranger, ont récupéré et dévoyé les revendications corporatistes. Ils ont ainsi ourdi un projet sécessionniste avec pour but, la partition de notre pays. A cette fin, ils ont constitué et financé des groupes armés qui ont causé un lourd préjudice aux populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Le monde entier a été témoin des atrocités commises par ces groupes armés : mutilations, décapitations, assassinats des éléments des Forces de Défense et de Sécurité, des autorités administratives et des civils sans défense, destructions des infrastructures et édifices publics, incendie des écoles, des hôpitaux, etc.
Je voudrais saisir la présente occasion, pour réitérer mes condoléances les plus sincères et celles de la Nation tout entière à tous ceux qui ont perdu des êtres chers dans le cadre de cette crise. J’adresse également un message de réconfort aux blessés et à toutes les autres victimes à divers titres. Je leur donne l’assurance qu’ils peuvent compter sur la solidarité du Gouvernement de la République et sur celle de la Nation tout entière.

Mes Chers compatriotes,
Les exactions des groupes armés ont poussé des milliers de nos compatriotes à se réfugier dans les autres régions du pays, voire, pour certains, dans des pays voisins où ils sont réduits à la précarité.
Face à ces actes intolérables, les Forces de Défense et de Sécurité ont pris des mesures énergiques, souvent au péril de leur vie, pour assurer leur devoir de protection des citoyens et de leurs biens.
A l’heure actuelle, ces mesures commencent à porter leurs fruits avec l’amélioration de la sécurité et la reprise progressive des activités économiques dans les deux régions.

Mes Chers compatriotes,
Depuis la survenance de cette crise, je n’ai ménagé aucun effort, avec l’aide de Camerounaises et de Camerounais de bonne volonté, pour rechercher les voies et moyens d’une résolution pacifique de celle-ci.
Dans un souci d’apaisement, j’ai même décidé de l’arrêt des poursuites judiciaires pendantes devant les tribunaux militaires contre 289 personnes arrêtées pour des délits commis dans le cadre de cette crise.

Dans le même ordre d’idées, j’ai adressé une offre de paix aux membres des groupes armés, en les invitant à déposer les armes et à bénéficier d’un processus de réintégration dans la société. A cet effet, un Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration a été créé. Les Centres Régionaux de Désarmement accueillent progressivement de nombreux ex-combattants qui acceptent volontairement de déposer les armes. Nous allons continuer à déployer les efforts nécessaires pour que ce processus soit pleinement opérationnel.

Au plan humanitaire, j’ai décidé du lancement d’un vaste plan d’assistance à nos compatriotes éprouvés des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. J’ai également créé un Centre de coordination de l’action humanitaire chargé de mettre ledit plan en œuvre. Je voudrais à cet égard, dire merci aux partenaires internationaux qui nous accompagnent dans cette initiative.

Mes Chers compatriotes,
Pour expliquer cette crise, il a souvent été évoqué un sentiment de marginalisation qu’éprouveraient les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Je voudrais à cet égard redire à nos compatriotes de ces régions, mais également à ceux des huit autres régions du Cameroun, que la marginalisation, l’exclusion ou la stigmatisation n’ont jamais inspiré l’action des différents Gouvernements que j’ai formés depuis mon accession à la Magistrature suprême de notre pays. Certes, aucune œuvre humaine n’est parfaite et dans un pays en développement tel que le nôtre, confronté à de multiples défis et ne disposant que de ressources limitées, de nombreux besoins restent encore insatisfaits, dans toutes les régions.

Fort du soutien massif que vous m’avez accordé lors de la dernière élection présidentielle, je continuerai à œuvrer sans relâche, avec toutes les filles et tous les fils de notre pays, à relever les multiples défis auxquels nous sommes confrontés pour améliorer le bien-être de nos populations, notamment en matière d’infrastructures, d’approvisionnement en eau et en électricité, de couverture sanitaire et d’emploi des jeunes.

Mes Chers compatriotes,
Le 4 janvier dernier, j’ai procédé à un important remaniement ministériel, avec notamment la nomination d’un nouveau Premier Ministre, Chef du Gouvernement. Le choix de ces responsables a, comme à l’accoutumée, été principalement guidé par leurs qualités humaines et professionnelles, leurs compétences et leur expérience. Je voudrais néanmoins souligner que, fidèle à la politique d’équilibre régional que je n’ai cessé de promouvoir, j’ai choisi un Premier Ministre originaire de la région du Sud-Ouest. Son prédécesseur, qui a quant à lui passé près de dix ans à ce poste clé, était originaire de la région du Nord-Ouest. De fait, depuis le 9 avril 1992, les Premiers Ministres, Chefs du Gouvernement, ont été choisis parmi les ressortissants de ces deux régions.
Malgré cela, certains continueront à parler de marginalisation des populations de ces régions. En fait, il y a lieu de reconnaitre, au plan général, que la nature humaine est ainsi faite qu’il n’y aura jamais assez de postes de responsabilité pour satisfaire toutes les régions, tous les départements, les arrondissements, les villes, villages, familles et citoyens de notre pays. Chaque choix continuera de provoquer de la joie lorsque l’on sera distingué et de la tristesse lorsqu’on ne le sera pas.

Il est cependant indispensable que nos mentalités évoluent sur ce point. S’il est nécessaire de tenir compte de l’équilibre régional dans des pays neufs, à la structuration sociologique diverse tel que le nôtre, il est indispensable de rappeler que les Ministres et autres responsables ne sont pas nommés seulement pour servir leurs régions, leurs villages ou leurs familles, mais l’ensemble de la communauté nationale. Ils doivent être au service de l’intérêt général et non des intérêts particuliers.

C’est pourquoi, depuis mon accession au pouvoir, je n’ai cessé et je ne cesserai de mener, avec acharnement, la lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics et de promouvoir la bonne gouvernance.

Mes Chers compatriotes,
Depuis la survenance de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, jamais le terme dialogue n’a été autant évoqué, prononcé, voire galvaudé.
A l’interne comme à l’international, chacun y est allé de ses propositions et de ses suggestions. Certaines d’entre elles réalistes, d’autres nettement moins. Les conseils ont afflué. Certains avisés, d’autres intéressés. D’aucuns se sont même risqués à des injonctions.
Des initiatives multiples et diverses ont également fleuri. La plupart du fait de personnes de bonne foi, de pays ou d’organisations véritablement soucieux du devenir de notre pays et du bien-être de nos populations. Qu’il me soit permis de les remercier pour leurs efforts et leurs témoignages d’amitié.

Il y a toutefois lieu de remarquer que la prolifération de ces initiatives s’est parfois malheureusement appuyée sur des idées simplistes et fausses, procédant de la propagande sécessionniste. Il en est ainsi de la prétendue marginalisation des Anglophones, de la persécution de la minorité anglophone par la majorité francophone, du refus du dialogue par notre Gouvernement au bénéfice d’une solution militaire à la crise ou encore des accusations ridicules de génocide.

S’agissant du dialogue lui-même, la question s’est toujours posée de savoir, Avec qui ?
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication et notamment les réseaux sociaux ont malheureusement favorisé l’apparition de leaders autoproclamés, d’extrémistes de tout bord essayant d’asseoir leur notoriété par le biais d’injures, de menaces, d’appels à la haine, à la violence et au meurtre.

Or, tuer des gendarmes ou des civils, kidnapper, mutiler, molester, incendier, détruire des infrastructures publiques, empêcher les enfants d’aller à l’école ou les populations de vaquer tranquillement à leurs occupations n’a jamais été, dans aucun pays au monde, source de légitimité pour représenter ou s’exprimer au nom des populations justement victimes de ces exactions.
En démocratie, seule l’élection confère une telle légitimité.

Mes Chers compatriotes,
Les nombreuses consultations que je n’ai cessé de mener au sujet de cette crise, m’ont permis de prendre la mesure de l’ardent désir des populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de retrouver le cours normal de leurs vies, de pouvoir de nouveau, en toute sécurité, exercer leurs activités économiques et sociales, de voir les réfugiés et les personnes déplacées revenir et les enfants retrouver le chemin de l’école. La récente tournée du Premier Ministre dans les deux régions a permis de confirmer ce sentiment.
J’ai la ferme conviction, à cet égard, que le moment est venu de mobiliser toutes les forces positives et constructives de notre pays, à l’intérieur comme dans la diaspora, pour que ce désir devienne une réalité.

C’est pourquoi, j’ai décidé de convoquer, dès la fin du mois en cours, un grand dialogue national qui nous permettra, dans le cadre de notre Constitution, d’examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les autres composantes de notre Nation.
Le dialogue dont il est question, concernera principalement la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Mais il est évident qu’en cela même il touchera à des questions d’intérêt national, telles que l’unité nationale, l’intégration nationale, le vivre-ensemble, il ne saurait intéresser uniquement les populations de ces deux régions.
Il aura donc vocation à réunir, sans exclusive, les filles et les fils de notre cher et beau pays, le Cameroun, autour de valeurs qui nous sont chères : la paix, la sécurité, la concorde nationale et le progrès.

Il s’articulera également autour de thèmes susceptibles d’apporter des réponses aux préoccupations des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi qu’à celles des autres régions de notre pays : le bilinguisme, la diversité culturelle et la cohésion sociale, la reconstruction et le développement des zones touchées par le conflit, le retour des réfugiés et des personnes déplacées, le système éducatif et judiciaire, la décentralisation et le développement local, la démobilisation et la réinsertion des ex-combattants, le rôle de la diaspora dans le développement du pays, etc.

Présidé par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, ce dialogue réunira une palette diverse de personnalités : parlementaires, hommes politiques, leaders d’opinion, intellectuels, opérateurs économiques, autorités traditionnelles, autorités religieuses, membres de la diaspora, etc. Seront également invités des représentants des Forces de Défense et de Sécurité, des groupes armés et des victimes.
Tout le monde ne pourra, et c’est compréhensible, prendre effectivement part à ce dialogue, mais chacun aura l’occasion d’y contribuer.

En amont de la tenue effective du dialogue, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, mènera de larges consultations, afin de recueillir les avis les plus divers, qui serviront de sources d’inspiration pour la conduite des débats. Des Délégations seront également envoyées dans les prochains jours à la rencontre de la diaspora, afin de lui permettre d’apporter sa contribution à ces réflexions sur la résolution de la crise.

Je voudrais à cet égard en appeler au patriotisme et au sens des responsabilités de tous nos compatriotes de l’intérieur comme de la diaspora pour que chacun, où qu’il se trouve, saisisse cette opportunité historique pour contribuer à conduire notre pays sur les chemins de la paix, de la concorde, de la sécurité et du progrès.

Mes Chers compatriotes,
La propagande des sécessionnistes a voulu présenter les décisions de justice récemment rendues à l’encontre d’un certain nombre de nos compatriotes, dans le contexte de cette crise, comme un obstacle au dialogue envisagé.

Il n’en est rien. Je voudrais d’ailleurs en profiter pour préciser que le respect de la règle de droit et la lutte contre l’impunité constituent les piliers de la consolidation de l’Etat de droit, à laquelle nous aspirons tous. Fouler aux pieds la règle de droit et assurer l’impunité à certains citoyens, aboutiraient à préparer le lit de l’anarchie.

Il est donc fondamental, à ce stade, de dissiper les rumeurs selon lesquelles, l’on peut tranquillement piller, violer, incendier, kidnapper, mutiler, assassiner, dans l’espoir qu’un éventuel dialogue permettra d’effacer tous ces crimes et assurera l’impunité à leurs auteurs.
Une telle façon de penser ne peut qu’encourager la perpétuation des violences dans les régions en crise et même en susciter dans les régions où il n’y en a pas, ainsi que nous l’enseigne l’expérience vécue par plusieurs pays dans le monde.
Il est toutefois vrai que dans le cadre d’un dialogue, d’un processus de paix ou de réconciliation nationale, il puisse être envisagé l’éventualité d’un pardon, dans certaines conditions.
Il est tout également vrai qu’aux termes de notre Constitution, le Chef de l’Etat est habilité à user d’un droit de grâce.
C’est d’ailleurs fort de cette habilitation que j’ai adressé, lors de ma récente prestation de serment, une offre de paix aux membres des groupes armés.
Je voudrais solennellement réitérer en ce jour cette offre. Ceux qui volontairement déposent les armes et se mettent à la disposition des centres de DDR, n’ont rien à craindre. Leurs camarades qui s’y trouvent déjà peuvent en témoigner. En revanche, ceux qui persisteront à commettre des actes criminels et à violer les lois de la République, feront face à nos Forces de Défense et de Sécurité et subiront toute la rigueur de ces mêmes lois. Il en est de même des promoteurs de la haine et de la violence qui, confortablement et impunément installés dans des pays étrangers, continuent à inciter au meurtre et aux destructions. Qu’ils sachent qu’ils devront tôt ou tard rendre des comptes à la Justice.

J’en appelle justement aux pays qui abritent ces extrémistes. S’ils se soucient réellement de la situation des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qu’ils agissent contre ces criminels. La plupart n’ont plus la nationalité camerounaise, mais ils passent leur temps à collecter des fonds pour perpétrer des actes terroristes au Cameroun, à commanditer des incendies, des kidnappings et des assassinats et à lancer des mots d’ordre pour empêcher les enfants d’aller à l’école et les citoyens de vaquer tranquillement à leurs occupations.

Mes Chers compatriotes,
La communauté nationale tout entière fonde de grands espoirs sur les assises que je viens d’annoncer. Elle espère y voir l’opportunité pour nos frères et sœurs du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de tourner cette page particulièrement douloureuse, d’oublier leurs souffrances et de retrouver une vie normale. Elle espère également voir notre pays poursuivre résolument sa marche vers le progrès, grâce à une réflexion féconde sur les voies et moyens de créer les conditions d’une exploitation optimale des ressources naturelles et du formidable potentiel humain que recèle notre pays. Nous devons donc tous œuvrer à leur succès.

Mes Chers compatriotes,
Au fil du temps, nous avons su tirer parti de notre formidable diversité linguistique et culturelle, du talent de nos filles et de nos fils, de nos efforts et de nos sacrifices méritoires, pour bâtir un pays solide et une Nation forte. Ensemble nous avons relevé de nombreux défis et remporté d’innombrables victoires. Nous avons prouvé que lorsque nous sommes unis, il n’y a pas de difficulté que nous ne puissions surmonter, d’obstacle que nous ne puissions franchir. Nous l’avons prouvé hier. Nous le prouverons encore aujourd’hui et demain. L’avenir de nos compatriotes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se trouve au sein de notre République.

Le Cameroun restera un et indivisible.
Vive le Cameroun !

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