« Affaire Martinez Zogo » et la presse camerounaise : Décryptage


 

Par Dr Feumba Samen

 

 

Menacés. Agressés. Arrêtés. Emprisonnés.Torturés.Pris en otage. Disparus.Déportés ou contraints à l’exil. Tués – sont quelques sentences contre ceux qui, à cause de leurs écrits, leurs dessins, leurs paroles ou leurs chansons, dérangent le camp qu’ils vilipendent, ou les réseaux mafieux dont ils ont fait partie. Une triste réalité très souvent ternie par de fausses émotions. L’‘affaire Martinez Zogo’ est révélateur de cette hypocrisie.

Silence des rédactions

Dans les tous premiers jours de la deuxième quinzaine de janvier 2023, Martinez Zogo, animateur radio à ‘Amplitude FM,’ à Yaoundé a été enlevé. Il n’est réapparu que cinq jours plus tard, le 22, ‘mort-torturé-et-mutilé.’Ce‘kidnapping-assassinat’ révèle la vraie nature des journalistes camerounais constitués en clans. Hypocrites. Sournois. Perfides. Judas. Haineux. Rancuniers. Faux-jetons. Glisseurs de peau de banane. Ces Pharisiens,comme à leur habitude lorsque l’un de leurs confrères est en difficulté, ont porté leur muselière. Mis leur micro en mode off. Et cassé leur plume pendant quelques jours.

Cette affaire fait le ‘front page’ de la presse deux jours plus tard, perdue dans la foultitude des ‘unes’ aussi variées que le nombre de titres sur le marché des media camerounais. La prudence des premières heures oblige les rédactions à aborder ce dossier sous l’angle de questions. Martinez Zogo—Assassiné?’ S’interroge ‘Info Matin’ (19 janvier). Ou encore, ‘Ou est passé Martinez Zogo?’ se demande Le Jour’ (19 janvier), qui explique—Le présentateur de l’émission ‘Embouteillages,’ diffusé sur la radio Amplitude Fm n’a pas donné de nouvelles depuis le 17 janvier 2023.’Quelques détails sont donnés par ‘Info Matin’(19 janvier). Il écrit. ‘D’après certaines rumeurs…après avoir subi des tortures des plus inimaginables, serait tué, son corps mutilé.’L’assassinat de Martinez Zogo confirmé, ‘The Politics Hebdo’ (26 janvier) réclame ‘Justice pour Martinez Zogo.’‘New Star’ (25 janvier) en quête d’un probable accusé, demande insidieusement,‘qui tue les journalistes dans ce pays?’

Susciter l’émotion

Cette question n’est pas fondamentale pour les journalistes des ‘salles d’attente’ et ‘bureaux feutrés.’Néanmoins, ils peuvent jouer les ‘peinés.’Porter un visage défait.Crier leur peine. Accuser. S’indigner. Pleurer à chaude larme. Réclamer justice…sans enquête. Les salles de rédaction s’animent pour alimenter cette fausse émotion.

Les titres des ‘unes’ se bousculent et se ressemblent. ‘Emergence,’ et ‘Echo Santé ’dans leur ‘indignation’ plaquent mot pour mot, ‘Affaire Martinez Zogoles journalistes réclament justice’(24 janvier). Sur une petite bande noire en fin de page, ‘L’Economie,’reprend plus ou moins le même libellé—‘Assassinat de Martinez Zogo—la corporation s’indigne et réclame justice’ (24 janvier). L’auto-victimisation est activée pour attirer la compassion.

Chacun y va de sa plume.Tribune d’Afrique’ (26 janvier) crie au ‘Péril sur la liberté d’expression au Cameroun.’Certaines formules sont saillantes—‘La liberté de la presse en question.’Accuse ‘Actu-infos’(6 février). ‘Ils veulent qu’on la boucle.’ Dénonce ‘Terre Promise Hebdo,’(24 janvier).‘La liberté de la presse guillotinée.’Se presse d’annoncer‘Ça presse’(25 janvier).‘La presse dans l’œil du cyclone.’Moucharde‘Le Messager’(24 janvier).

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‘L’assassinat du célèbre animateur vient témoigner de ce qu’il y a au Cameroun, un réseau maffieux de commanditaires qui veulent réduire au silence les soldats de la plume et du micro.’Détracte‘Le Messager’(24 janvier) soutenu par‘Actu-infos’ qui argue que les commanditaires de cet horrible assassinat‘envoient à la presse un signal fort—qu’elle cesse de se mêler de ce qu’ils considèrent comme les affaires qui ne la regardent pas’(6 février).

Martinez Zogo coincé à jamais dans les embouteillages 94, 65, 57’(‘Ça presse,’ 25 janvier) donne l’occasion à ‘Tribune d’Afrique’ (26 janvier) des ’exercer aux statistiques. Elle informe qu’‘entre 2019-2023, 34 cas d’agression, d’emprisonnement, d’enlèvement et d’assassinat ont été perpétrés sur des journalistes au Cameroun.’

Bien que toute atteinte à l’humain ne se justifie pas, le Cameroun n’est pas l’enfer des journalistes comparativement à d’autres pays. Néanmoins, dans l’ambiance du moment, tout est bon pour cultiver une émotion malsaine.Y compris indexer malicieusement l’inaptitude du Chef d’Etat à protéger ses compatriotes, et son incapacité à tenir parole. Alors qu’il ‘disait pourtant à haute voix que, personne ne prendra plus le maquis, pour exprimer ses opinions dans son pays.’Insinuation qui pourrait avoir pour conséquence d’instiguer la colère populaire.

Déjà entendu

Dans cette arène de ‘profito-situationnistes,’du déjà entendu se répète. ‘Les condamnations affluent’(‘Emergence,’ 24 janvier). Chacun veut faire entendre sa voix. Célestin Tawamba, patron de GICAM, estime que ‘cette monstrueuse tragédie’ pourrait être un frein à l’investissement, car dans un pays, le premier moteur de l’investissement est la sécurité des personnes par les pouvoirs publics’(‘Innovations,’ 25 janvier). Et ‘appelle le gouvernement à retrouver et à punir les auteurs du crime’ (‘l’‘Economie,’ 25 janvier). ‘Le barreau,’ fait savoir le Bâtonnier Mbah Eric Mbah, ‘condamne l’atmosphère d’insécurité générale et exige l’arrêt des assassins du journaliste’ (‘Innovations,’ 25 janvier).

De son côté, Me Akere Muna se déchaîne’ (‘Mutations,’ 1er février), et ‘salue la mémoire de Martinez Zogo’ (‘le jour,’ 1er février). Henriette Ekwe pense que ce ‘meurtre est un message d’intimidation pour la presse’(‘l’Indépendant’, 30 janvier).

‘Le Jeune Enquêteur’ du 26 janvier compile les réactions de quelques leaders d’opinion tels que Albert Dzongang, le Chef Sokodjou, Dr. Aristide Mono, Honorable Nintcheu, Fermand Nenkam. Chacun avec ses mots exprime son désarroi.Condamne.Et crie à la justice. Le mouvement consumériste est sur ce fuseau. Il ‘exprime sa profonde indignation, condamne, et demande que justice soit rendue’ (‘La Voix du Consommateur,’27 janvier).

Dans ‘Le Quotidien’ du 26 et ‘Le Soir’ du 27 janvier, ‘l’UPC condamne’ et ‘appelle au calme.’ Les ‘Évêques indignés [du Cameroun],’ (‘Mutations,’31 janvier) ‘interpellent les autorités judiciaires à faire la lumière sur cette affaire’ (‘le jour,’31 janvier). Le 2 février, ‘le jour’ reprend‘une tribune d’une vingtaine d’artistes, de journalistes, d’écrivains, d’avocats, et d’universitaires(?) Camerounais,’ préalablement publiée dans le quotidien impérialiste français ‘Le Monde,’ dans laquelle ils ‘expriment leur stupéfaction et demandent des comptes.’Pas étonnant!

 

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Maurice Kamto déclare que ‘chaque citoyen camerounais est en totale insécurité sous le régime RDPC déclinant’(Afriquinfos, 24 janvier). Le Social Democratic (SDF), plus tempérant, appelle ‘à l’interpellation immédiate des auteurs dont l’identité ne saurait être ignorée’(Afriquinfos, 24 janvier)par les autorités.

Tango traditionnel

L’essentiel des ‘unes’ du 27 janvier est consacré aux têtes couronnées. ‘Les chefs traditionnels de la Lékié montés au créneau’ (‘Emergence’), ‘accusent,’ (‘Mutations’) et ‘refusent le corps de Martinez Zogo.’ (‘Le jour’). ‘The Guardian Post,’qui traite le ‘dossier Zogo’ de façon ponctuelle tout comme l’ensemble de la presse d’expression anglaise,affiche à sa ‘une,’ ‘Lekie traditional rulers reject Martinez Zogo’ scorpse.’ Un titre qu’il partage avec ‘le jour.’

Ces chefs traditionnels qui avaient refusé la dépouille de Martinez et demandé que ce dernier soit inhumé à Mvomeka, dans le caveau familial du Président de la République reviennent sur leur décision le 29 janvier. Et‘demandent pardon à Paul Biya, d’avoir péché par excès de douleur et insistent que les coupables du meurtre de leur fils, Martinez Zogo soient traqués et lourdement condamnés’(‘Info matin,’30 janvier). Cette démarche ne constitue pas un ‘revirement’ contrairement à ce qu’insinue ‘L’Info à chaud’(30 janvier). Néanmoins, ces ‘chefs traditionnels, décidés de faire payer par un châtiment mystique, les auteurs, les commanditaires, et les complices de ce crime odieux [ont organisé] un rituel expiatoire’(‘L’Indépendant, 30 janvier).

Instruction du chef de l’Etat

Le Président Biya, déterminé dans son ‘combat en faveur des droits de l’homme’ (‘L’Info à chaud,’1er février), et ‘très affecté par ce crime indicible dont la résonance attaque l’édifice des Libertés construit aux prix d’énormes sacrifices, a assuré que les commanditaires et exécutants subiront toutes la rigueur des lois de la République’ (‘Meyomessala Hebdo,’ 30 janvier).‘The Guardian Post,’rapporte cette information en indiquant que ‘Biya orders urgent probe into assassination of Martinez Zogo’(1er février).

La mécanique judiciaire du chef d’Etat Camerounais est lancée ‘le 2 février, à travers un communiqué du MINETAT-SG/PR, Ferdinand Ngoh Ngoh, [qui] instruit la mise sur pied d’une commission d’investigation mixte gendarmerie-police.’Renseigne ‘Info Matin,’(8 février).

Dans le cadre de cette enquête, ‘La Nouvelle,’ (30 janvier) croit savoir qu’‘un mandat spécial [aurait été déposé] auprès du Président de la République pour interpeller les hautes personnalités commanditaires suspectées,’ afin que nul n’échappe aux mailles de la justice. ‘Info à chaud’ (31 janvier)le dit avec ses mots—‘le chef de l’Etat vient d’instruire le SED, ‘d’ouvrir une enquête sur les circonstances du décès de ce journaliste’ et d’en établir les responsabilités.’

Réconfort du gouvernement

Le gouvernement ‘s’incline et condamne’(‘Le Quotidien,’ 25 janvier) dans un communiqué du Ministre de la communication, René Emmanuel Sadi, qui a indiqué ‘suivre la situation avec tout l’intérêt qu’elle mérite.’Il a ensuite précisé que ‘des instructions ont été données afin que toute la lumière soit faite’ sur cette affaire.

Le communiqué du 22 et la visite de René Sadi le 23 janvier au siège de ‘Amplitude FM,’ sont largement amplifiés par les media. ‘Echo Santé’ du 24 janvier écrit. ‘Les confrères de l’illustre disparu se sont entretenus avec le ministre de la communication hier, 23 janvier 2023.’ Ce même jour, ‘après une cérémonie au siège d’‘Amplitude FM,’ les hommes des media ont rencontré le ministre de la communication.’Note ‘Emergence’ (24 janvier).

Le 25 janvier, plusieurs journaux consacrent leur ‘une’ à cette visite. ‘Réalité Plus’ écrit, ‘le ministre de la Communication René Sadi réconforte le personnel [Amplitude FM] éprouvé par la mort de Martinez Zogo.’ Sur cette ligne, ‘Cameroon Tribune,’ met à sa ‘une,’‘Assassinat de Martinez Zogo—le réconfort du gouvernement.’Et ‘Mutations’ libelle, ‘visite de réconfort—le MINCOM à Amplitude Fm.’

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Enquêtes de toutes les suspicions

L’‘affaire Martinez’ est une curiosité. Les journalistes incapables d’investiguer pour produire de bons papiers, jouent les procureurs. Suggèrent aux enquêteurs les questions et les pistes d’investigations. ‘Emergence’ dans son édition du 30 janvier dresse une série de ‘questions auxquelles les enquêtes doivent apporter des réponses.’ Son confrère ‘le Jour’ (26 janvier), suit sensiblement le même courant dans son papier intitulé, ‘Affaire Martinez Zogo – Questions autour de l’enquête.’ Ce quotidien revient le 30 janvier et s’interroge ‘pourquoi l’enquête sur la mort de Martinez Zogo piétine,’ et doute que ‘les prélèvements faits sur sa dépouille aient été envoyés en analyse.’

Ces journalistes pas de terrain mais des ‘salles couvertes,’incapables de tirer les infos derrière les portes, font ‘le point des enquêtes’ (‘L’Avenir,’ 30 janvier). Prétendent savoir ‘ce que la police nationale, la gendarmerie, et les services de renseignement ont découvert’(‘L’Avenir,’ 30 janvier). Affirment que ‘des indiscrétions qui filtrent de l’enquête mixte gendarmerie et police, semblent très prometteuses et rassurantes’ (‘Info Matin,’ 30 janvier). En d’autres termes,‘les enquêteurs [sont] sur les traces des tueurs’ (‘La Nouvelle,’30 janvier).

Afin de convaincre les sceptiques, Ils ‘vendent’ l’idée selon laquelle‘les Israéliens du BIR se sont invités dans le dossier’(‘Info Matin,’2 février) pour le faire ‘avancer’ au galop, et surtout obtenir dans les délais des résultats non-entachés de zones d’ombre.

Cet enthousiasme est tassé par ceux qui évoquent ‘l’effet brouillard’ qui enveloppe les investigations (‘L’Indépendant,’ 30 janvier). Puis, se demande si l’on ‘s’achemine vers une enquête impossible’ (L’Expression politique,’ 30 janvier). Doute qui a obligé ‘Mutations’ à se rétracter dans les supplications—‘dites quelque chose’ (30 janvier). Demande-t-il aux enquêteurs.

Entre doute, méfiance, incrédulité, désintéressement, le positivisme a également sa place. ‘L’enquête amorce sa vitesse de croisière’ (‘Mutations,’2 février). Des ‘pistes sont évoqués’(‘Le Point Hebdo,’2 février).‘De hauts responsables de la Direction Générale de la Recherche Extérieure auditionnés’ (‘Mutations,’2 février).‘Les premiers résultats, visant à faire toute la lumière sur l’assassinat odieux du chef de chaîne d’Amplitude Fm sont visibles’ (‘Info Matin,’ 8 février).

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Colère du cafard face au coq

Le brouhaha des journalistes et ‘cyberharceleurs,’ dans le ‘dossier Martinez’ fait parlé Daniel Mekobe Sone, premier Président de la Cour Suprême comme un oracle. ‘S’agissant de l’opinion publique entretenue par les réseaux sociaux, il est judicieux de souligner que ceux-ci s’érigent en véritables tribunaux, en officier de police judiciaire, en juge d’instruction et de jugement. Des lanceurs d’alerte aux journalistes ordinaires en passant par les influenceurs, tout y est. On enquête, on instruit, on juge et on condamne selon les tendances choisies, ou alors les pseudo-délinquants et les suspects sont poursuivis, blanchis et acquittés virtuellement, avant même que les procédures judiciaires ne soient déclenchées conformément à la loi.’ Mais plus importante est sa conclusion. ‘Le temps de la justice n’est pas forcément celui de l’opinion publique, encore moins celui des réseaux sociaux.’

Laurent Esso, Ministre de la Justice, garde des Sceaux, ne dit pas autre chose. ‘Il y a la justice telle que voulue par la presse, et la justice qui est la réalité du contenu des dossiers que le magistrat examine. Parfois il y a tout un monde d’écart.’Alors, l’agitation des journalistes-commandés et des ‘cyberharceleurs’ est semblable à la colère du cafard face au coq.

Coup politique d’un As

Le ‘dossier Zogo’ a donné l’occasion à Paul Biya, cet homme à la ‘parole rare,’ de prouver combien il excelle en politique. ‘La détermination du Président de la république pour la manifestation de la vérité, voire de la justice’ (‘Info Matin,’ 8 février) est ‘appréciée’ et saluée, tant au Cameroun qu’à l’étranger. Cet autre coup politique du Président Camerounais scelle de façon unanime journalistes, activistes, politiques, et l’opinion de façon générale, derrière une formule qui le caractérise et dont ses adversaires par calcul politicien font peu cas – Paul Biya n’a pas d’amis ni de protégés’ (Info à chaud,’ 8 février) quand il faut sauver la République. Formule rappelée par Dr. David Eboutou—un anti Biya.

 

 

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