L’éducation à la citoyenneté : une expérience et des fondements théoriques à enseigner ?

[ Dr. Magloire KEDE ONANA ]

Des gens participent à un défilé pour célébrer la fête nationale à Yaoundé, au Cameroun, le 20 mai 2022. (Xinhua/Kepseu)

De 1990 à 2004, j’ai exercé divers postes de responsabilité dans l’éducation nationale au Cameroun. D’abord comme directeur de Collège puis comme proviseur. J’ai pu mesurer les difficultés qu’il y avait à réaliser les exigences actuelles de scolarisation, dans un contexte marqué non seulement par un profond désarroi d’une population partagée entre la modernisation et la tradition mais aussi le progrès technique et l’unification du monde.

L’expérience des anciens philosophes aidant, et au regard de ces enjeux, j’ai entrepris dans mes recherches, d’interroger ce qui, chez Platon, Aristote, Rousseau, Kant, nous permet de maintenir voire de perfectionner les valeurs humanistes énoncées lors du miracle grec.

Platon enseigne une pédagogie visant à une transformation politique, ou tout aussi bien une politique visant à une nouvelle pédagogie : il veut construire un homme nouveau, pleinement homme. Avec lui, débutent les grandes utopies politiques et pédagogiques ; utopies sans doute, mais qui témoignent que l’homme est dans la mesure où il vise un idéal de soi ; même si la République pense la construction et la destruction cycliques du régime politique (et de la pédagogie), elle ouvre à l’humanité l’imprévisibilité de l’Histoire.

Aristote se défend de rêver ; il observe les sociétés de son temps, les décrit, les critique, les apprécie. Faute de pouvoir construire une société idéale, il défend la moins mauvaise : un mixe d’oligarchie et de démocratie, marqué par la domination de la classe moyenne. Mais, chez Aristote comme chez Platon, seuls accèdent à la pleine citoyenneté et à l’éducation plénière, seuls sont citoyens, les hommes « libres », non seulement les esclaves mais les travailleurs manuels sont exclus de la citoyenneté. Nous sommes dans la cité grecque : le citoyen gère sa maison et la République, il la défend à la guerre, mais il ne se souille pas de basses besognes.

 

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Rousseau pense dans le contexte d’une monarchie déclinante, où s’éveillent fortement les besoins de liberté et d’égalité. S’il est pessimiste relativement au progrès humain, il estime que ce progrès culturel est sans retour en arrière possible ; il s’agit donc de fonder le régime politique permettant à l’humanité, lancée dans l’Histoire, par l’aventure de l’Histoire, dans un destin imprévisible, de s’accomplir de la meilleure façon. Le Contrat social fonde le régime politique légitime, l’Emile esquisse la réforme pédagogique qui permettra de l’instaurer, en se fondant sur la bonté originelle de la nature humaine.

Kant est convaincu que l’Histoire mène une humanité devenue adulte vers son unification. Les âges de guerre et d’oppression vont se terminer. Mais Kant ne partage pas l’optimisme de Rousseau quant à la nature humaine ; ce qu’il y a de bon dans l’homme, c’est la conscience du devoir- mais on peut dire non au devoir. C’est à partir du devoir que l’éducation pourra former les humains capables de gérer en paix une humanité nouvelle.

Cette humanité nouvelle, le prodigieux développement des techniques depuis le milieu du XIXè siècle l’a créée, mais pas exactement comme elle était rêvée : deux terribles guerres mondiales ont bien fait décliner la croyance au progrès. C’est dans cette situation confuse, hésitante, que j’ai toujours conçu et mené mes recherches. Le progrès technique et les nouveaux modes de vie qu’il a suscités amènent bien plus d’interrogations et d’inquiétudes que de certitudes.

 

La méditation des grands penseurs d’autrefois devait nous aider à nous attaquer aux problèmes d’aujourd’hui.

Par-delà leurs divergences, Platon, Aristote, Rousseau, Kant, se rejoignent en constatant l’implication mutuelle de la politique, gouvernement des hommes, et de l’éducation, formation des citoyens de demain ; comme le dit explicitement Aristote, chaque type de régime politique a sa pédagogie spécifique. Ils enseignent aussi que l’action politique ne saurait relever de la simple technique, de la stratégie ; le Prince de Machiavel ne se maintient qu’au prix d’acrobaties, et sa position (et celle de son royaume) est prodigieusement fragile et précaire ; une politique soucieuse de la durée doit être morale ; elle doit donc faire appel à ce qu’il y a de meilleur en l’homme : l’amour de la vertu, la conscience du devoir ; certes, l’éducation devra donc comporter une certaine part de dressage :on ne forme pas un Surmoi sans imposer certaines contraintes ; mais, si c’est pour constituer une société d’hommes libres et responsables, ce dressage est aussi une libération.

 

 

Par Dr. Magloire KEDE ONANA


Né au Cameroun. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé, j’entame en 1990 une carrière d’enseignant de philosophie et devenue par la suite assez fulgurante. Ancien Proviseur des Lycées, j’ai éprouvé en 2004 le vif besoin de consacrer une recherche universitaire pour prendre le recul sur mon expérience. Formé parallèlement en master d’Administration et Gestion des Entreprises à L’IAE de Bordeaux, et de surcroît titulaire d’un doctorat nouveau régime en philosophie de l’éducation obtenu à L’Université Paris-Est, mes travaux de recherches portent sur les politiques publiques d’éducation ;les valeurs humaines fondamentales que la tradition philosophique a mises au jour ; l’équité et la qualité dans l’éducation, les questions de gouvernance éducative, l’innovation sociale et la gouvernance des territoires ,toutes les questions liées à l’émergence et au développement durable de l’Afrique et son rapport au reste du monde. Je viens de constituer une galaxie d’experts constituée d’hommes et de femmes, avec qui nous vivons la réalité de nos formations dans un projet d’application pour suite de nos recherches post-doctorales.

Parallèlement, j’exerce depuis mon retour au bercail en 2009 comme enseignant associé à l’Université Panafricaine de SOA et de surcroît S/Dir ACL/MINADER( 2015-2019), et tout récemment ( S/Dir ACL au MINDCAF).

Tél : 0753435070E-mail : kedeonana@yahoo.fr

 

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