La résurgence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest : dérive démocratique ou éveil nationaliste ?

Suite au «printemps arabe ayant secoué l’Afrique du Maghreb », l’effet contagion va s’étendre quelques années après dans les régions d’Afrique subsaharienne. Des mouvements de contestation populaire contre les « régimes démocratiques » en place vont voir le jour au crépuscule de la décennie 2010.  Un feuilleton qui mettra en spectacle une série de coups d’Etats, dont l’Afrique de l’ouest sera le théâtre.

 

Par Étienne  PIDOM KOULAGNA, Doctorant chercheur, expert en questions internationales

 

Afrique54.net – Si l’histoire des coups d’États n’est pas nouveau dans l’évolution des Etats Africains depuis leur accession à la souveraineté internationale, il n’en demeure pas moins que ces coups d’États ont connu un sérieux coup de ralentissement depuis l’avènement du vent démocratique dans le monde en général et en Afrique en particulier à l’aube de l’année 1990. Quelques décennies après, une nouvelle saison augure le paysage politique des pays Africains et spécifiquement ceux de l’Afrique de l’ouest. Du Mali (août 2020) au Burkina Faso (janvier 2022) en passant par la Guinée Conakry,  plusieurs régimes démocratiques ont été évincés par des juntes militaires. La contagion semble s’emparer de toute la région à la suite du dernier coup d’Etat raté le 1er février en Guinée-Bissau contre le gouvernement d’Umaro Sissoco Embalo.

Face à la rapidité avec laquelle ces mouvements ont pris corps dans la région après plusieurs années d’absence, beaucoup s’interrogent sur les réelles intentions qui ont sous-tendu l’action de ces putschistes. Cette résurgence des coups d’Etats en Afrique serait elle une dérivé du modèle démocratique imposé en Afrique par l’occident ou alors ne serait  elle pas simplement la résultante d’un éveil nationaliste des peuples Africains de prendre en main leur propre destin ? Une interrogation qui donne un sens idéel aux différents facteurs ayant fortement orienté la conduite de ces coups d’Etats.

La dérive du modèle démocratique en Afrique comme cadre explicatif des coups d’états en Afrique de l’Ouest

La fin de la deuxième guerre mondiale et la chute de l’URSS marqueront le triomphe de l’idéologie libérale avec pour corollaire l’avènement de la démocratie dans le monde. Une vision qui va très vite se traduire dans les Etats Africains en général et en particulier ceux du giron français tout nouvellement constitués (1960 en majorité)  par le discours de la Baule du président français François Mitterrand, dont l’objectif fondamental sera d’impulser une dynamique de développement qui sera bâti sur plus de libertés (individuelle, électorale, entrepreneuriale, d’expression) et d’ouverture à l’international. Un modèle de gouvernance qui sera accueilli par la majeure partie de la tranche politique des États Africains comme lueur d’espoir pour un décollage pluri sectoriel, bref un élan vers le développement.

Après trois décennies d’évolution des États Africains sous le parapluie du modèle démocratique occidental, les États Africains ont-ils obtenus les résultats escomptés des trajectoires d’espérance qui avaient été esquissées ? Même si dans la théorie la démocratie occidentale offrait une avalanche de solutions pour le développement des États Africains, il faut préciser que l’appréhension de  l’application de ce modèle a diamétralement été opposée au contexte socio-culturel et anthropologique des États Africains, d’où l’explication claire de sa faillite.

Une faillite qui s’explique dans son entièreté par plusieurs raisons. Dans un premier temps, il est important de souligner que l’un des principes fondamentaux de la démocratie libérale réside dans le respect de la souveraineté des Etats datant de l’époque Westphalienne. Malheureusement, ce constat reste amer en ce qui concerne Afrique. Soixante ans après, cette dernière semble enfoncée dans le gouffre de l’éternel colonisateur qui ne veut aucunement lui accorder son indépendance totale. C’est aujourd’hui la continuité en Afrique francophone beaucoup plus, d’une domination occidentale à travers la monnaie (FCFA) qui n’aide véritablement pas les pays Africains de ces régions (cas de l’Afrique de l’ouest)  à se développer, combiné à la main mise de ces occidentaux sur les politiques internes des États Africains via leurs institutions internationales économiques et financières ( FMI, BM), dont les PAS (plans d’ajustements structurels ) sont devenus des armes ultimes de contrôle et de gestion des affaires internes des États.

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Cette lecture fausse qui a été faite de la démocratie occidentale en Afrique, n’aura pas en terme de bilan aidé les pays Africains à trouver le chemin vers le développement, mais par contre aura réussi l’exploit d’enfoncer ces États dans une pauvreté extrême et de susciter un fort sentiment anti-occidental et un renforcement d’une conscience nationaliste qui se traduisent dans les faits au Mali par exemple, par une volonté de rupture des relations entre le peuple malien et l’Etat Français.

Les difficultés endogènes : source d’un éveil nationaliste traduit par les coups d’Etats

Il faut rappeler qu’un lien existentiel entre cette rubrique et la mauvaise lecture démocratique faite en Afrique est bien réel. En effet les problèmes ou difficultés observés au sein des États Africains proviennent des dirigeants démocratiquement élus qui malheureusement jouent la carte de l’occident au sein de leurs propres États. Souvent taxés à tort ou à raison de corrompus, la vérité est que ces chefs d’États ne garantissent plus le bien être de leurs populations, tout simplement parce qu’ils n’ont eux plus le contrôle des politiques publiques qui sont élaborées.

Étienne  Pidom Koulagna,
Etienne Pidom Koulagna, Auteur de “L’intégration régionale face aux nationalismes: cas du Brexit”

Face au décalage entre la méconnaissance des besoins des populations internes et des politiques publiques imposées par l’extérieur, l’équation probable qui en découle est forcément un échec à des niveaux pluriels dont la conséquence directe est le soulèvement populaire souvent accompagné d’un coup d’État. A ce niveau s’établit donc une chaîne de causalité qui conduit au stade paroxystique à  la chute de l’État. On l’a récemment vu avec les soulèvements populations ayant conduit aux « printemps arabe » en Afrique du Nord  et dans certaines  régions du Moyen Orient. C’est le même modèle d’analyse qui peut  être transposé dans la région  d’Afrique de l’Ouest.

Pour être plus clair dans le cas de cette région qui est l’épicentre de cette analyse, il faut rappeler que le coup d’État formaté contre le président Rock Marc Kaboré n’est que l’aboutissement de l’incapacité par son gouvernement de trouver des solutions adéquates au climat d’insécurité qui prévaut dans la région face à la menace grandissante djihadiste. L’attaque d’Inata de novembre 2021 ayant fait 57 morts du côté de l’armée Burkinabé a été perçue comme la goutte qui fait déborder le vase. Avec un bilan de plus de 2000 personnes tuées (civiles et militaires) et environ 1,5 millions de déplacés internes, l’exaspération populaire et militaire a donné une voie légitime au coup d’État de janvier 2022.

A côté de cette insécurité, la question de transparence démocratique souvent tant évoquée et de chômage des jeunes donne une crédibilité à la conduite  vers un coup d’État. La volonté de certains dirigeants de vouloir s’éterniser au pouvoir en tripatouillant la constitution donne de l’élan aux populations et l’armée d’agir dans l’ambition de restaurer l’intégrité de l’État. Le coup d’Etat de septembre 2021 contre le président Alpha Condé trouverait en majorité son sens dans cette logique.

En substance, s’il est vrai de convenir tous que les coups d’États en Afrique sont la résultante des dysfonctionnements institutionnels et politiques de nos États avec pour objectif de rétablir l’ordre constitutionnel et de pallier aux difficultés plurisectorielles, il n’en demeure pas moins que les États modernes et postmodernes se gèrent mieux par des technocrates qui sont pour la plupart des temps des civiles. Il est dès lors important de pouvoir trouver des voies plausibles pour une bonne transition du pouvoir dans ces États, cela passe nécessairement par une redéfinition d’un contrat social qui tient compte des réalités socio-culturelles et anthropologiques des peuples Africains.

« l’Afrique n’a pas besoin d’institutions fortes, mais d’Hommes forts »

 


Par Étienne  Pidom Koulagna,  Doctorant chercheur, expert en questions internationales l Afrique54.net

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