Conflit  entre la liberté de manifester et la légitimité de la majorité en démocratie


Par Christian Yabassi, le Profane

Expert aspirant en liberté d’expression et en droits de l’homme

Réflexion – La nature faillible des gouvernements de tout régime politique en général et des démocraties en particulier tend dans bien des cas à donner du souffle à des mouvements de manifestations qui par la pression et même du lobbying souhaitent bien souvent pousser à la démission  lesdits gouvernements et  leurs chefs supérieurs.

Cette même nature favorise la manifestation de la liberté de manifester (élément respectable des droits de l’homme) en vue d’exprimer  soit pacifiquement soit férocement un ras-le-bol… Ces manifestations sont légitimes dans une démocratie dans la mesure où elles n’encouragent pas la perte en vie humaine. Dans tous les cas,elle pourrait fertiliser la nécessité de s’interroger dans le cadre d’une démocratie.

La liberté de manifester est tout simplement le droit qu’a tout individu de se regrouper individuellement ou en collectivité pour dénoncer les insuffisances d’une institution pour laquelle il dépend, en vue d’améliorer les conditions de vie de l’individu, du groupe, ou des autres.  La manifestation peut aussi avoir pour objet les propositions, bien que cet objet soit rare au profit des manifestations de dénonciations qui se font de plus en plus violentes. Le droit de manifester est une forme de liberté d’expression et devrait donc être respecté dans toute démocratie.

La légitimation de la majorité dans une démocratie est simplement l’usage et l’application  politique des décisions de la majorité, surtout lors des consultations électives. Par exemple, lors d’une VRAIE élection présidentielle ou un candidat a eu 70 %  des voix et l’autre 30 %, la légitimation de la majorité serait de se rassurer de ce que celui qui a obtenu 70 %  des suffrages puisse diriger effectivement. Ce serait aussi l’usage de tout outil politique qui se rassurerait  de ce que la voix du peuple soit entendue (cette voix se voit par la majorité). Comme l’usage d’un référendum.

Ceci dit, les manifestations pour l’éviction des dirigeants politiques sous les prismes de l’incompétence mais aussi d’une mauvaise gestion sont légions dans carrément tous les 4 coins du globe. Récemment au Burkina-Faso, il y a eu une grande manifestation en vue de faire démissionner Christian Kaboré du pouvoir. Cette manifestation était dû (à en croire les propos des manifestants) à l’incapacité de ce dernier à sécuriser le pays des attaques jihadistes ayant causé la mort de plusieurs centaines d’hommes intègres.

Un cas quasi-similaire a été répertorié au Brésil le samedi 02 octobre 2021 où des milliers de manifestants sont sortis pour réclamer la destitution du président Jair Bolsonaro accusé de mauvais leadership et d’incompétence par les manifestants. Nous avons vu une même mouvance avec les gilets jaunes en France. Des manœuvres semblables ont mûri au Chili ;  au Cameroun…

Le droit de manifester est un droit consacré dans tous les États qui se veulent démocratiques

Le droit de manifester est un droit consacré dans tous les États qui se veulent démocratiques. De fait, il doit être scrupuleusement appliqué et encadré a posteriori. La considération politique de la majorité est je dirais la base de toute démocratie. Tout le monde devrait avoir le droit de voter ;  mais aussi avoir le droit de voir son vote compter prioritairement quand ce vote rejoint d’autres d’une même nature ; mais cette fois en grand nombre.

Dans toute démocratie, seule la majorité par le billet d’une élection a la légitimité d’ériger en magistrat un politique. C’est aussi cette seule majorité par le canal d’une consultation élective qui devrait avoir le droit de destituer ou de prôner la démission de ce magistrat ;  soit par VOIX directe ou indirecte. En démocratie, la majorité en politique est sacrée et n’est que mesurable par l’indication des urnes et non par les humeurs de la rue. Les humeurs de la rue sont tolérables dans notre cas mais peuvent juste être consultées et non consacrées surtout si elles n’ont pas de fondement, si elles sont manipulées mais aussi mal placées.

Les humeurs de la rue enrobées le plus souvent dans des manifestations entrent très souvent en collision avec l’expression (et la légitimation) de la majorité en démocratie. Les revendications d’éviction par des manifestants contre un chef d’État ne doivent aboutir que si ceux qui manifestent sont ceux qui l’ont mis au pouvoir. Ceux-ci par ces manifestations, par  un non-respect du contrat qui les lie souhaiteront un changement. Si ces manifestations aboutissent dû à la pression des manifestants de l’opposition et bien une injustice s’installera bien que la liberté d’expression et donc de manifester serait actée.

Cette injustice sera l’injustice liée au non-respect du choix de la majorité lors de l’échéance électorale antérieure ;  au détriment des VOTANTS VAINQUEURS. Il faut le dire, dans le dernier cas, les manifestants ayant réussi à évincer le dirigeant politique pourraient être constitués d’âmes manipulées ;  inconscientes ;  mais aussi de mauvaise foi. Dans ce cas toujours y règnera une injustice censée être un obstacle à toute démocratie, mais aussi une trahison de la confiance du votant vainqueur par le système qu’incarne la démocratie.

Écoutons cet exemple hypothétique pour une meilleure compréhension :

En 2008 en Ukraine, il y a une élection présidentielle qui oppose deux partis :  Le parti de gauche et le parti de droite. Il a été recensé 100 votants pour cette élection. Le soir du jour des résultats il est confirmé que 70 %  des personnes ont voté pour le parti de gauche-foncièrement progressiste et liberal- et les autres 30 %  pour le parti de droite- foncièrement conservateur et socialiste. Le parti de gauche mené par Rudolph Louchenko préside la magistrature suprême en Ukraine depuis lors. Après sa prise de pouvoir, en septembre 2010 y règne une crise politique de grande ampleur ;  accentuée par la crise économique mondiale de 2008. On y recense une inflation galopante,  un taux de chômage avoisinant les 60 %  avec 45 %  de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Dû à une forme de désespoir et de ras-le-bol une manifestation de grande ampleur est activée dans les rues de Kiev.

UN PREMIER SCÉNARIO SE PRÉSENTE: Durant cette manifestation, tous appellent avec férocité au départ de Louchenko.  Le souci ici est que ceux qui manifestent sont ceux ayant voté contre lui à la présidentielle de 2008. Aussi, l’appel à manifester a été nourri par le parti de droite et certains acteurs de la société civile.

Dans cette situation, on peut facilement déceler un conflit d’intérêt entre la liberté de manifester et la légitimation de la majorité dans cette démocratie. Consacrer la démission du président dû à la pression féroce des manifestants serait insulter et trahir la légitimité de la majorité qui a été obtenue lors de l’élection de 2008 et représentée ici par les 70 % de vote en faveur de Louchenko. Ceci serait une insulte à la démocratie ;  car une démocratie où les notions d’élections et de votes sont méprisées et criblées est une démocratie qui a une âme en captivité…capturée par les tentacules venimeuses de la dictature des humeurs, l’anarchie ; mais aussi de l’allégeance à l’injustice. Mais aussi, une démocratie où est bafouée la liberté d’expression est une qui aurait perdu l’un de ses piliers fondateurs.

Mais tout de même, si on se rapproche un peu plus de la lumière, on verra que faire valoir la légitimation de la majorité pourrait faire à ce qu’on n’applique pas les revendications de ces manifestants ;  mais ça n’empêchera aucunement le fait que ces derniers auraient eu sans embûches la latitude de s’exprimer librement. Néanmoins, ça empêchera que la liberté de manifester de ces manifestants soit à leur apogée. Qui ne souhaite voir son action aboutir ?

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En vue d’éviter ce conflit, une décision sage (parmi une panoplie) par ces manifestants pourrait être de ne pas appeler à la destitution ou à la démission du président de manière féroce ; mais plutôt en sus des dénonciations de mauvaise gestion et autres, faire des propositions constructives mais aussi des manifestations saines. Une manifestation qui se veut productive peut aussi être vue sous cet angle. D’ailleurs, un édifice est un bien qui se construit en proposant et non en démolissant.  On ne peut que construire si on propose d’abord et ce dans tous les cas.

UN DEUXIÈME SCÉNARIO SE PRÉSENTE: Dans ce cas, tous appellent à la démission de Louchenko. Mais ici, ceux qui le font sont ceux qui avaient voté pour lui lors de la dernière élection présidentielle.

Il convient d’évoquer ici la notion de légitimation raisonnée de la majorité. Ce type de légitimation bien que ce soit un idéal doit prévaloir dans toutes les démocraties normalement (bien qu’on soit loin de l’objectif). Il s’agit de la considération de la voix d’une majorité uniquement sur la base des motivations rationnelles et non passionnelles. Il ne s’agit pas ici de ne pas compter le vote d’un passionné lors d’une consultation électorale ;  mais par des moyens pédagogiques le permettre de rationaliser ses passions liées aux élections. En le faisant, on évitera des situations où des personnes votent sur la base du tribalisme ; du lobbying ; de l’indifférence ; de la corruption…en faveur d’un vote sur une base purement convictionnelle… De là, dans une forme de dimension, des manifestations féroces pourraient être évitées.

Si on revient à notre cas, si la manifestation aboutit et qu’effectivement Louchenko n’a pas tenu ses promesses de campagne par incompétence, ou autres, la voix du peuple doit être entendue et il doit donc démissionner. Mais si la manifestation aboutit dû à des motivations non fondées comme le résultat d’une collusion malsaine avec une opposition ou des groupes de pression corrompus, on parlera de dictature de la majorité. Aucune dictature ne doit s’épanouir dans une démocratie.

UN DERNIER SCÉNARIO SE PRÉSENTE : Ici, 50 %  clament la démission et 50 %  au maintien au pouvoir du président.

Dans ce cas et dans tous les cas où il y a manifestation pour faire destituer ou démissionner un gouvernement ou un chef suprême, en vue de faire légitimer la voix de la majorité, la meilleure des solutions serait toujours de faire appel à l’outil qu’est le RÉFÉRENDUM.  Dans un autre sens, il faut toujours faire primer les urnes.

Dans les précédents scénarios nous étions dans un monde hypothétique. La réalité elle contient des particularités existentielles. Dans une foule de 10.000 manifestants il serait carrément impossible de déterminer avec sagacité ceux qui sont pour la destitution et ceux contre la destitution du président.

Aussi, dans cette même foule,  comment déterminer avec perspicacité qu’adouber le choix de la foule serait agir en conformité avec la légitimation de la majorité ?

Un référendum avec brio bémolisera ces interrogations. Le but d’un référendum est de trancher les indécis. C’est une consultation électorale qui agit comme un juge qui ne jugera pas de manière arbitraire mais bien avec l’assentiment du peuple et en vue de faire primer la légitimation de la majorité.

Dans le cas de l’Ukraine, l’idéal  ne serait pas de céder aux humeurs des manifestants aussi facilement.  L’idéal en tant que disciple de la démocratie serait que le président organise un référendum en vue de trancher sur les doléances de ces manifestants. Ce référendum pourrait être organisé avec le concours de l’opposition, de la société civile, des religieux, des organisations internationales en vue de s’assurer d’une forme de transparence ;  maïs aussi de s’assurer de l’organisation du référendum et de la primeur de la liberté d’expression. De là le désir vrai du peuple sera connu. De là, la démocratie primera.

S’il est donc clair qu’il puisse exister un conflit entre la liberté de manifester et la légitimation de la majorité dans une démocratie, il est pareillement clair que ce conflit peut être résolu par l’usage d’un référendum ;  donc les urnes.

 


Christian Yabassi, le Profane

Expert aspirant en liberté d’expression et en droits de l’homme

 

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