Etat civil : Sortir l’enfant africain de l’invisibilité

L’enregistrement à l’état civil : ne laisser personne pour- compte . L’enregistrement à l’état civil fournit aux individus une identité unique. Il constate les relations de parenté et constitue la base nécessaire pour établir la citoyenneté. De ce fait, il garantit aux individus le droit d’accès aux services de base, essentiels à leur épanouissement, notamment, s’inscrire à l’école, bénéficier de soins de santé ou d’une protection sociale.  En effet, un individu non enregistré à l’état civil est considéré comme fantôme, victime du phénomène de l’invisibilité et menacé par le risque d’apatridie.

Le sous-enregistrement des naissances : une réalité préoccupante.

L’enregistrement complet et exhaustif des naissances est une préoccupation centrale de l’état civil. Au-delà du Cameroun, il s’agit d’une réalité mondiale.

A titre de rappel, la Banque Mondiale estime à 1,5 milliard de personnes dans le monde, non enregistrées à l’état civil, soit 20% de la population mondiale et dont la moitié se trouve en Afrique subsaharienne.

Pour ce qui concerne particulièrement le Cameroun, le BUNEC, en liaison avec le Ministère de l’Education de Base, a identifié en 2019 près de 1 million 600 mille élèves inscrits dans les écoles primaires et maternelles à travers le territoire national sans actes de naissances.

La Région de l’Extrême-Nord est concernée au premier rang par l’ampleur du problème, de par l’importance de sa démographie et du fait des activités terroristes menées par le groupe islamiste Boko Haram. Cette région comptait à elle seule en 2019, plus de 400 000 élèves sans actes de naissance, dont 38000 en classe du Cours Moyen 2ème année (CM2). Pour des raisons similaires, la situation des Régions  du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui connaissent une instabilité sécuritaire depuis 2016 reste tout aussi préoccupante.

[Interview Exclusive] : Les 4 vérités d’ Alexandre Marie YOMO sur l’ état civil au Cameroun

Les causes à surmonter

De l’étude-diagnostic et de l’évaluation complémentaire du système de l’état civil du Cameroun menées respectivement en 2006-2007 et en 2016, il ressort que plusieurs facteurs expliquent le faible taux de déclaration des naissances. Sans être exhaustif, il s’agit de :

  • la méconnaissance des textes en vigueur par les acteurs de l’état civil et les populations : en effet,  plusieurs acteurs de l’état civil ne maîtrisent pas toujours leur rôle en matière de déclaration des naissances. Et même, les familles sont parfois dans l’ignorance de la procédure à suivre en vue de l’enregistrement de la naissance du nouveau-né ;

 

  • la tolérance administrative : les textes en vigueur  prévoient des sanctions en cas de non-déclaration des naissances, mais ces sanctions sont difficilement ou pas du tout appliquées ;

 

  • la négligence des populations : plusieurs parents se contentent des déclarations de naissances délivrées par les formations sanitaires et ne se rendent guère dans les centres d’état civil pour l’enregistrement de la naissance ;

 

  • les barrières géographiques : l’éloignement des centres d’état civil des populations, dans certaines localités, constitue très souvent un frein à la déclaration des naissances ;

 

  • les barrières administratives : certains centres d’état civil sont non-fonctionnels en raison de la longue vacance des postes d’officiers et de secrétaires d’état civil ;

 

  • les barrières financières : bien que le principe de gratuité de l’enregistrement des faits d’état civil soit établi par les textes en vigueur, la déclaration et l’enregistrement des naissances restent assujettis à un paiement au niveau des formations sanitaires et des centres d’état civil ;

 

  • les barrières culturelles : dans certaines communautés, l’enregistrement de la naissance d’un enfant relève du pouvoir des hommes. La plupart du temps, ces derniers, en raison de leurs nombreuses occupations oublient de se rendre aux centres d’état civil, en vue d’y déclarer la naissance. Les épouses ne peuvent pas le faire à leur place par peur des représailles ;

 

  • les barrières religieuses : dans certains cas, le retard pris pour l’enregistrement des naissances  est dû au temps mis pour attribuer un nom à l’enfant ;

LIRE AUSSI : Enregistrement des naissances : Les journalistes camerounais à l’école des bonnes pratiques

  • l’instabilité du fait des conflits internes et des guerres : en temps de situations d’urgence ou d’insécurité, la déclaration et l’enregistrement des naissances s’avèrent difficiles, voire impossibles, même pour les parents qui voudraient bien le faire. En pareille circonstance, les services d’état civil sont le plus souvent interrompus, ou tout simplement détruits.

 

Les actions menées pour lutter contre le phénomène de l’invisibilité.

Sous la très haute impulsion du Président de la République, Son Excellence Monsieur Paul BIYA, le BUNEC, bras technique du Gouvernement en matière d’état civil, s’attèle depuis son opérationnalisation en 2016, à la poursuite de la mise en œuvre du Programme de Réhabilitation de l’Etat Civil du Cameroun, lequel rentre en droite ligne dans la vision du Cameroun émergent en 2035. Parmi les actions majeures réalisées, l’on pourrait citer entre autres :

La mise en œuvre du Plan Stratégique pour la réhabilitation de l’état civil du Cameroun. Ledit plan comporte sept axes et vise à mettre en place un système d’état civil holistique, intégré, inclusif.

A LIRE AUSSI : Humanitaire : Des enfants réfugiés continuent d’exister dans l’anonymat

Pour ce qui concerne spécifiquement la problématique du sous-enregistrement des naissances, l’axe 4 dudit plan intitulé « Amélioration de la demande de services CRVS » prévoit notamment de :

  • Favoriser l’adhésion des populations à l’enregistrement systématique des faits d’état civil. A propos, le BUNEC conduit des activités de formation des acteurs de l’état civil. A date, plus de 10000 officiers et secrétaires d’état civil ont été formés. De même, des actions de sensibilisation, d’éducation et d’information de la population et des autres parties prenantes du système de l’état civil à l’instar du personnel judiciaire, des autorités administratives, religieuses et traditionnelles, les élus, les relais communautaires, la société civile sont organisées. De manière particulière,  le BUNEC accorde une attention conséquente, à la production du  mini programme radio intitulé « lumière sur l’état civil » diffusé sur le poste national de la Crtv, tous les jeudis de 18h15 à 18h30mn ;

 

  • améliorer la mobilité du service d’état civil vers la population. Dans ce cadre, il convient de relever qu’une cartographie des centres d’état civil du pays est disponible. Le Cameroun compte à présent 374 centres d’état civil principaux logés dans les 360 communes et les 14 mairies de villes (Communautés urbaines), 2455 centres d’état civil secondaires disséminés sur l’étendue du territoire national et 46 centres d’état civil logés dans les représentations diplomatiques et consulaires. La création de dix (10) agences régionales du BUNEC assure positivement le rapprochement de la supervision du service de l’état civil des différents acteurs. Par ailleurs, le BUNEC conduit des expériences pilotes d’installation des centres d’état civil dans certaines formations sanitaires des Régions de l’Adamaoua, du Centre, de l’Est, de l’Extrême-Nord et du Nord, afin qu’aucun enfant ne quitte l’hôpital sans son acte de naissance ;

 

  • l’utilisation d’outils et des processus innovants pour accroître les déclarations et l’enregistrement des naissances dans les délais prescrits par la loi. Dans ce registre, la fiche harmonisée de déclaration des naissances dans les formations sanitaires, les cahiers de villages, la notification des naissances par téléphone portable, les registres allégés, la mise à contribution des relais communautaires sont autant d’innovations déjà opérationnelles.

Sur un tout autre plan, le schéma directeur de l’informatisation de l’état civil du Cameroun a été adopté par le Comité de pilotage du PRE2C le 12 septembre 2018. L’informatisation de l’état civil du Cameroun est effectivement lancée dans certains centres d’état civil. Il en est des centres d’état civil principaux  du département du Mfoundi.

Il en est aussi de ceux des communes de Maroua 1er, Maroua 2ème, Gazawa, Mokolo, Kaélé, Touloum et Tokombéré dans la Région de l’Extrême-Nord, avec le Projet « Legal Identity for All » qui vise la collecte, le désencombrement et le reclassement des registres d’état civil en vue de leur numérisation et leur indexation. L’informatisation du système national de l’état civil  est appelée à s’étendre sur l’ensemble du territoire national.

Enregistrement des naissances : Les journalistes camerounais à l’école des bonnes pratiques

Enfin, en vue d’une meilleure coordination des interventions, une plate-forme de concertation des acteurs et des partenaires techniques et financiers du système d’état civil fonctionne sous l’égide du BUNEC.

De ce qui précède, il est loisible d’entrevoir au Cameroun, la mise en place d’un système d’état civil opérationnel et performant, capable d’assurer l’enregistrement universel des faits d’état civil survenus sur le territoire national, afin que chaque camerounais  soit visible par l’Etat.

 

Une correspondance de Tobie NDI

Facebook Comments Box