Cameroun: Akere Muna appelle à l’organisation d’un « dialogue de guérison »

Espérant que le Cameroun sorte de l’impasse politique dans laquelle  il est plongé depuis plus de quatre ans, dans son discours de fin d’Année 2020, l’ex-bâtonnier souhaite que 2021 soit l’année où tous les Camerounais répondront à l’appel de la raison, et où ils se rassembleront dans le cadre d’un “grand dialogue inclusif qui a encore la chance de permettre à cette nation de guérir”.

En même temps il salue la création par Paul Biya de la Sonamine société, l’ancien allié de Maurice Kamto s’étonne que “le siège de cette société soit installé à Yaoundé et non dans le principal centre minier de notre pays qui est la région de l’Est”, au “moment où l’on parle de décentralisation.”

Sur la question de la reconstruction du Noso, l’Avocat international plaide pour l’implication des populations locales dans le processus. “Il faut permettre à la population de s’approprier le processus de reconstruction dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il y avait des quincailliers, des maçons, des plombiers, des charpentiers et d’autres personnes qui travaillaient dur dans ces villes et villages », a déclaré Akere Muna avant de rencherir : « Ils devraient être tous impliqués dans la reconstruction de leurs villes et villages. Les ‘soi-disant super-entrepreneurs’ importés qui n’ont aucun lien avec ces villes et villages n’auront aucune incitation à assurer l’intégrité et à promouvoir la transparence ; ils ne pourront pas être tenus responsables de la qualité des travaux effectués après leur départ. »


Discours de fin d’année

2021-UNE CHANCE POUR LE DIALOGUE DE GUÉRISON

BÂTONNIER AKERE MUNA – 31 DECEMBRE 2020

 

Camerounaises, camerounais, mes chers compatriotes,

Malgré les défis de l’année qui s’achève, nous voici à nouveau au seuil d’une nouvelle année, 2021. Je viens à vous pour vous souhaiter le meilleur pour l’année à venir et pour saisir l’occasion de réfléchir avec vous sur ce que l’avenir nous réserve, ainsi qu’à notre pays.

Cela fait quatre ans que nous traversons une crise qui a totalement changé le visage de notre nation. Les termes “catastrophe humanitaire”, “personnes déplacées en interne”, “orphelins” et “réfugiés” ne sont que trop réels pour nous. Nous nous retrouvons avec des villages désertés et détruits, des chefferies sans chefs et des écoles sans élèves. Nous nous sommes habitués aux meurtres, aux enlèvements, aux incendies criminels et à toutes sortes de désastres. Nous sommes habitués à voir des adolescentes dans les rues la nuit et nous ne sommes plus choqués par le pic soudain des grossesses précoces. Nous devenons experts en maniement de mots haineux et en diabolisation de ceux qui cherchent à exprimer des idées qui pourraient être différentes des nôtres. Tout cela nous a engourdis dans un état de désespoir et d’acceptation de la dégradation progressive de ce qui devrait relever de la simple décence.

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Il y a 59 ans, deux territoires se sont réunis. Deux territoires qui avaient été séparés et avaient hérité de deux cultures différentes. Cette réunion ne visait pas un retour au passé, mais plutôt la création d’une entité entièrement nouvelle, qui reconnaît ces deux héritages distincts et qui exploite les atouts de chaque culture et les canalise vers une prospérité partagée pour tous les Camerounais.

La tourmente actuelle est le prix à payer pour la mauvaise gestion de ce patrimoine qui avait positionné notre pays et la Tanzanie comme les pionniers porteurs du rêve panafricain. Nous avons gaspillé tout ce capital et nous nous noyons maintenant dans un fleuve fait de cupidité, de division, de corruption, de tromperie et de discrimination. Les citoyens ont maintenant complètement perdu toute confiance dans les institutions de notre pays. Il y a un processus de reproduction de l’élite, car ceux qui occupent des postes de direction s’assurent qu’ils font une place à leurs frères et sœurs et à leur progéniture. Les compétences et les talents ne sont plus reconnus. Les injustices engendrées par un système de retraite inéquitable et imprévisible ont fait que les citoyens vont à la retraite avec appréhension et découragement.

En ce qui concerne les jeunes, les moins fortunés ne voient plus d’avenir dans leur propre pays et sont obligés de se lancer dans des aventures pour tenter d’émigrer afin de pouvoir rêver à nouveau. Les récits des épreuves et des tribulations de ceux qui les ont précédés et qui se sont noyés en mer ou ont été réduits en esclavage ne les dissuadent plus. Ils restent convaincus que leur patrie n’a pas d’avenir, ce qui les prépare à accepter n’importe quelle incertitude, même au prix de leur vie.

La crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest a produit un pays politiquement, économiquement, socialement et même culturellement paralysé. Le climat politique général du pays est caractérisé par une réelle résistance au changement.

Pour certains, le changement a toujours consisté à manipuler les dispositions et les instruments juridiques pour obtenir les mêmes résultats, au détriment de la population. Il semble y avoir une résistance permanente à un changement progressif et inclusif. Il reste un petit groupe de personnes totalement inconscientes du sort des générations futures qui, de la manière la plus pernicieuse, jouent avec l’avenir de ce pays bien-aimé pour lequel beaucoup pleurent aujourd’hui. Il faut permettre à la population de s’approprier le processus de reconstruction dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il y avait des quincailliers, des maçons, des plombiers, des charpentiers et d’autres personnes qui travaillaient dur dans ces villes et villages.

 

Ils devraient être tous impliqués dans la reconstruction de leurs villes et villages.

Les ‘soi-disant super-entrepreneurs’ importés qui n’ont aucun lien avec ces villes et villages n’auront aucune incitation à assurer l’intégrité et à promouvoir la transparence ; ils ne pourront pas être tenus responsables de la qualité des travaux effectués après leur départ.

Nous allons entrer dans la nouvelle année après la tenue des élections régionales et entamer une nouvelle expérience appelée “décentralisation” en appliquant des dispositions qui étaient déjà présentes dans la constitution il y a 24 ans. Globalement, les élections régionales ont produit des résultats qui sont à environ 84% en faveur du parti au pouvoir. De ce fait, la dynamique politique du système centralisé est transférée aux régions. Cela garantit que ce qui se passe dans les régions sera conforme aux souhaits des forces centrales. En outre, les présidents des régions devront faire face à des gouverneurs, qui exercent toujours le même pouvoir qu’auparavant, assistés de secrétaires généraux, nommés par le pouvoir central. Il sera difficile que la dynamique régionale puisse influencer le cours des choses.

Si ces élections avaient eu lieu dès l’adoption de la constitution en 1996, le paysage politique aurait été différent aujourd’hui. À l’époque, de nombreux partis politiques contrôlaient la dynamique dans de nombreuses régions. Ces partis ont soit disparu, ou sont aujourd’hui complètement affaiblis.

Autant je souhaite que l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui puisse être résolue par cette nouvelle aventure, autant je me trouve contraint de regarder la réalité en face. Notre système politique est, par essence, monolithique et résistant à toute forme de changement. Il est intolérant à l’égard des citoyens dont les opinions s’écartent de celles promues par le pouvoir en place.

Je salue la création intervenue enfin d’une société nationale minière que j’appelais depuis plus de cinq (5) ans. Il était difficile de comprendre qu’un secteur aussi important soit géré avec un processus opaque et corrompu. Néanmoins je m’étonne qu’a un moment où l’on parle de décentralisation, le siège de cette société soit installé à Yaoundé et non dans le principal centre minier de notre pays qui est la région de l’Est.

Nous devons faire attention à ne pas nous retrouver avec un système prétendument décentralisé qui, en fait, continue de fonctionner sous les diktats d’une administration centralisée. Le génie de chaque citoyen et la dynamique de la démocratie au niveau régional resteront étouffés par une administration qui a choisi de revêtir les habits d’une force colonisatrice. Une administration doit être faite pour le peuple et par le peuple et non par l’administration, pour l’administration – un système de gouvernance qui est accro au contrôle et complètement phobique avec la transparence.

Les forces de l’ordre, la fonction publique, le système judiciaire, le secteur privé, et même les organisations religieuses et la société civile sont tous, dans un tel système, instrumentalisés à des fins politiques.

Notre pays a évolué depuis 1996. La démographie a changé et les dynamiques qui déterminent la forme de l’État sont totalement différentes. Nous devons revenir à la case départ et avoir un dialogue lobal, non seulement sur la forme mais aussi sur le fond. Un dialogue défini par les possibilités, et non pas enchaîné par ce que nous croyons être impossible. Nous devons apprendre à créer des opportunités pour que tous les Camerounais puissent trouver une place et se sentir à leur place. Aujourd’hui, de nombreux Camerounais n’ont nulle part où aller. Nous vivons une crise d’injustice et chaque jour, que nous nous abstenons d’y remédier, nous détruisons le rêve de beaucoup et nous leur volons même le droit de rêver. L’humanité, la dignité, la justice, l’équité et l’intégrité doivent être au cœur de toute action gouvernementale. Nous devons continuer à nous battre pour promouvoir un pays qui s’intéresse aux personnes et non à la politique. La politique a été utilisée comme une arme pour nous diviser et retourner les Camerounais contre leurs propres frères et sœurs. Des étiquettes sont maintenant utilisées pour creuser davantage ces divisions.

Nous devons nous souvenir des nombreuses personnes qui ont perdu la vie cette année sans que ce soit de leur faute, du fait de la brutalité de leurs propres frères. Nous prions pour le repos paisible de leurs âmes et aussi pour que ceux qui leur survivent dans l’impuissance et la détresse tiennent bon. Les efforts que nous déployons pour l’avènement d’une société juste et équitable faciliteront certainement l’acceptation de ces pertes.

Cette année, notre pays et le reste du monde ont été touchés par la pandémie de la COVID-19. Nous sommes heureux que les effets n’aient pas été aussi catastrophiques que ce que l’on craignait ici au Cameroun. Nous devons cependant rester vigilants et suivre les directives des autorités sanitaires car nous sommes menacés par une deuxième vague d’infection. Alors que nous abordons la question de l’utilisation d’un vaccin, nous devrions nous assurer que nos scientifiques prennent le leadership dans l’orientation de la politique qui protégera et préservera la vie des Camerounais.

Nous devons maintenant mettre un terme définitif au débat éternel sur la double nationalité. Pour ma part, je n’ai jamais acquis ni sollicité aucune autre nationalité. Une fois né Camerounais, on le demeure pour toujours sans égard à toute autre nationalité acquise.

Cependant, je crois fermement que rien ne saurait justifier le fait de rendre l’accès a notre pays difficile pour certains de ses filles et fils sur la simple base de la couleur du passeport qu’ils détiendraient.

Nous sommes un peuple résilient. Nous sommes un peuple épris de paix et tolérant. Tout ce dont nous avons besoin est la justice, l’amour, l’équité, le respect de nos différentes identités et l’exploitation des ressources du pays au profit de tout citoyen. Dans notre quête pour le développement, nous devons nous efforcer d’avoir un ancrage moral.

Alors, que 2021 soit l’année où nous répondrons à l’appel de la raison, et où nous nous rassemblerons dans ce grand, grand dialogue inclusif qui a encore la chance de permettre à cette nation de guérir. Pour reprendre une idée de Winston Churchill, je conclus en disant que nous avons épuisé toutes les autres possibilités et que nous devons maintenant faire ce qu’il faut.

Que Dieu nous bénisse tous et bénisse notre pays

Bonne et heureuse année à tous !

AKERE TABENG MUNA

 

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